
Dans l’œil de Clair, Kayin et Vincent
Trois étudiants en photographie à la Monnaie
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L’opéra favorise l’ouverture. De vos sens. D’une fenêtre sur le monde. De possibilités infinies. C’est dans cet esprit que la Monnaie a lancé un appel aux étudiant·es en photographie de Belgique pour créer les visuels de sa nouvelle saison. Parmi des dizaines de candidatures, nous avons sélectionné trois jeunes talents prometteurs. Armés de leurs appareils photo, et de leurs regards singuliers, ils se sont plongés dans l’univers de notre maison où ils ont capturé le travail quotidien et le dynamisme de nos équipes dans une série d’images à caractère documentaire pour notre campagne de promotion. Nous avons le plaisir de vous présenter Clair Bravo, Vincent Dankaerts et Kayin Luys.
CLAIR BRAVO
Comment qualifierais-tu ton identité en tant que photographe ?
C’est toujours un exercice difficile de se définir soi-même. Mon approche, c’est de travailler à la limite du réel et du fictif. C’est comme une forme de jeu, à la fois technique et instinctif, qui s’inspire de certaines contradictions de la photographie. Capturer le réel et le composer de manière inattendue à l’aide de signes, de références. Dans ma pratique documentaire, de plus en plus, je m’attache à défendre certains sujets qui me touchent, comme la représentation de la communauté queer, mais toujours en cherchant cette frontière poreuse avec l’imaginaire. Je pense en amont aux images et j’essaie de mettre en avant ce qu’on voit moins. J’ai eu toute une période où je m’intéressais beaucoup aux traces qu’on laisse derrière soi par exemple. Ce lien entre le visible et l’invisible de ce qu’on représente se retrouve presque toujours dans mes images.
Quelle fut ton expérience sur ce projet ?
Découvrir ce monde de l’opéra qui m’était totalement inconnu a été très chouette. J’avais envoyé ma candidature sans attentes particulières. Ce ne sont pas nécessairement mes codes ou mon univers, même si j’aime toujours la découverte. Et j’ai été particulièrement surpris par l’immensité et la richesse de toute l’institution. Les coulisses, la grandeur de la salle quand on la voit depuis la scène, tout le bâtiment des Ateliers. Quand j’en parlais à mes ami·es, je leur disais : « on ne se rend pas compte à quel point c’est gigantesque ». Surtout le travail qu’il y a derrière. J’ai été impressionné par tous ces corps de métier. Chaque équipe a son identité propre. Même les différents espaces ont une saveur particulière. Il y a une personne derrière chaque détail d’un spectacle. C’est l’implication des gens qui travaillent à la Monnaie qui m’a le plus touché.
Quels ont été les plus grands défis ?
La quantité d’éléments à regarder et à photographier. Il y avait beaucoup de choses qui m’attiraient l’œil mais je devais garder en tête de vraiment montrer les coulisses de l’opéra. Il fallait presque s’empêcher d’être fasciné par chaque détail et garder une forme d’objectivité. Comme je travaille avec un appareil numérique, j’avais des milliers de photos. Sélectionner les images a été un processus très long. Sur ce genre de gros projets, je garde presque tout. J’analyse la composition, les couleurs, l’efficacité du langage visuel de chaque image. Idéalement, je demande un regard extérieur pour changer de perspective, questionner mes choix. Et puis, on arrive progressivement à une sélection finale.
En te familiarisant un peu avec les productions de la saison à venir, qu’est-ce qui a le plus retenu ton attention ?
Visuellement, j’ai été très intrigué par Norma. Imaginer cet univers de parking très sombre, très industriel, avec les voitures suspendues, dans le cadre de velours rouge et les dorures de la salle m’a semblé très intéressant. Et puis, en suivant les répétitions d’un concert au Palais des Beaux-Arts, en rencontrant les musicien·nes de l’orchestre, en voyant arriver chaque instrument l’un après l’autre, j’ai développé une nouvelle fascination pour la musique symphonique. C’est l’euphorie de la découverte
KAYIN LUYS
Comment qualifierais-tu ton identité en tant que photographe ?
Je suis particulièrement fasciné par l’interaction entre la réalité et la fiction au sein d’une image. C’est un terrain de jeu que l’on peut aménager soi-même et pour lequel j’aime m'inspirer de mon environnement immédiat, par exemple en reproduisant des moments de la vie quotidienne. Ces images mises en scène encadrent d’une certaine manière la réalité : ce qui est représenté est réel, mais je l’ai modelé à ma guise. Cette tension entre ce qui est réel et ce qui ne l’est pas me fascine. L’image illustrant Idomeneo est un bon exemple : quand on regarde au-delà du banal, on découvre de subtils indices visuels qui élèvent l’image.
Pour trouver de telles tensions, rien de tel qu’une salle d’opéra. Comment s’est déroulé le projet ?
En tant que jeune photographe, c’est un cadeau de se retrouver dans un endroit aussi chaleureux. On a fait confiance à notre vision et on nous a permis de la développer de manière indépendante. Cette liberté était aussi un défi : comment travailler autour d’une production qui est en cours de préparation ? Une visite et quelques recherches plus tard, j’ai été impressionné non seulement par la grandeur de l’opéra, mais aussi par le travail méticuleux effectué en coulisses. Chaque détail – d’une pierre à un lacet de chaussure - est soigneusement élaboré dans les Ateliers. J’ai trouvé ce travail artisanal (souvent invisible pour le public) particulièrement intéressant à découvrir.
Tu as eu ton premier contact avec notre maison d’opéra. Quelle production de notre prochaine saison attends-tu avec le plus d’impatience ?
Je suis très intéressé par Ali. Je trouve extrêmement fort que des histoires aussi importantes soient présentées d’une manière fraîche et contemporaine, dans un genre qui a souvent une réputation assez traditionnelle. C’est très encourageant qu’il y ait de la place pour de nouvelles voix et des perspectives différentes à l’opéra.
VINCENT DANKAERTS
Comment qualifierais-tu ton identité en tant que photographe ?
Je me décrirais comme un créateur d’images avec une profonde passion pour la photographie analogique. En photographiant en négatif et souvent avec des appareils photo à grand angle, je me force à regarder différemment et plus consciemment ce qui m’entoure. Bien que mes images soient le fruit de rencontres fortuites et de fascinations spontanées, l’aspect du « temps » est très important dans mon travail. Le temps qui s’écoule entre le moment de la rencontre, de la prise de vue, du développement et l’image finale fait partie intégrante de mon langage visuel. Je suis poussé par la curiosité et l’émerveillement dans un monde rempli de gens extraordinaires. J’ai ce besoin constant de capturer et de préserver chaque instant comme un rappel de ce qui s’est passé. J’ai aussi récemment commencé à construire mon propre appareil photo, dans une volonté de mettre le processus analogique à la portée de tout le monde. C’est une grande boîte en bois contenant du papier photographique sensible à la lumière et qui sert en même temps de chambre noire mobile. Ainsi, les clichés peuvent être développés sur place et les personnes photographiées peuvent les recevoir immédiatement. C’est un souvenir tangible. De cette façon, j’inclue les gens dans le processus et je leur fais expérimenter cette temporalité qui me fascine tant.
Quelle fut ton expérience à la Monnaie ?
J’ai été très impressionné par les Ateliers de cette maison. Dans un monde où tout semble automatisé, c’était si rafraîchissant de voir ce savoir-faire qui existe encore à la Monnaie. Pouvoir capturer tout ce travail réalisé à la main fut une expérience unique. Il a fallu s’habituer à la rapidité de tout ce qui se passe ici – j’ai dû adapter ma façon de travailler. Mais ce fut aussi très instructif : cela m’a permis d’appliquer un style plus direct dans un nouveau contexte.
Peut-on déjà voir en toi un amateur d’opéra en herbe ?
Tout à fait ! Pour moi, ce projet a été l’introduction la plus spéciale et la plus privilégiée possible à l’univers de l’opéra. Grâce à mon abonnement Young Opera, j’ai l’intention de poursuivre cette découverte la saison prochaine. J’ai hâte de continuer à m’émerveiller de tout ce qui se passe en coulisses pour donner vie à cet art si particulier.