Cinq choses à savoir
sur Fanny and Alexander
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Mais qui a réalisé le plus grand classique du cinéma suédois qui sera à l’affiche de la Monnaie à partir du 1er décembre ? Par quel extraordinaire concours de circonstances ce chef-d’œuvre se retrouve-t-il aujourd’hui transposé à l’opéra ? Dans quels rôles pourrez-vous bientôt admirer les monstres sacrés que sont Thomas Hampson et Anne Sofie von Otter ? Voici cinq choses qu’il vous faut impérativement savoir sur notre production de fin d’année.
1. D'après un chef-d'œuvre suédois
Couronné par quatre Oscars, régulièrement plébiscité par les cinéphiles, l’un des films les plus longs jamais réalisés (la version d’auteur dure pas moins de 312 minutes) : Fanny et Alexandre est tout cela à la fois. Mais c’est aussi et surtout l’aboutissement de l’une des œuvres les plus impressionnantes et les plus éclectiques du siècle dernier. Ingmar Bergman (1918-2007) est l’auteur de près de 60 films pour le cinéma et la télévision, de 172 productions théâtrales (dont plusieurs opéras) et de quelque 300 manuscrits, la plupart d’une qualité littéraire exceptionnelle. Quel que soit le support utilisé, Bergman s’est appliqué à explorer en profondeur la psychologie de ses personnages, souvent en proie au questionnement existentiel, généralement peu à l’aise dans leurs relations avec autrui et marqués par une lucidité implacable, à l’image de leur père spirituel.
La noirceur volontiers introspective de films cultes comme Le Septième Sceau, Persona ou Cris et Chuchotements laisse cette fois-ci la place à quelque chose de différent : « Je veux enfin pouvoir exprimer la joie que je porte en moi malgré tout et à laquelle j’ai trop rarement accordé d’attention dans mon travail », déclare Bergman d’entrée de jeu. « Ardeur, détermination, vitalité, gentillesse : il serait peut-être bon, pour une fois, de pouvoir exprimer tout cela. » L’histoire donnera raison au cinéaste : Fanny et Alexandre surpasse à bien des égards tout ce qu’il a pu réaliser jusque-là.
Fanny et Alexandre raconte l’apprentissage, au début du XXe siècle, du jeune Alexandre Ekdahl et de sa sœur Fanny, élevés dans le giron d’une famille de comédiens issue de la haute bourgeoise. Dès la scène d’ouverture – une fête de Noël gravée dans la mémoire collective des Suédois –, le réalisateur déploie tout son savoir-faire : décors et costumes somptueux, plans éclatants de couleur, performances inoubliables. Le faste initial ne fait que renforcer le choc face au drame qui survient. À la suite du décès inopiné de leur père, Oscar, au cours d’une représentation de Hamlet, les deux enfants se retrouvent bientôt entraînés dans l’univers froid et dépourvu d’amour de leur nouveau beau-père, l’autoritaire évêque Edvard Vergérus, qui s’emploie à les discipliner et à chasser les rêves vivaces d’Alexandre, n’hésitant pas à recourir à la violence si nécessaire…
2. Du grand écran à la scène
Plusieurs années déjà avant le tournage du film, Ingmar Bergman Jr., l’un des neuf enfants du cinéaste, se verra offrir, lors d’une semaine inoubliable, l’occasion de faire connaissance avec la famille Ekdahl. Alors qu’il est en vacances dans l’une des propriétés de son père, sur l’île de Fårö à l’été 1979, il reçoit des mains de celui-ci la première version imprimée du scénario de Fanny et Alexandre, qu’il lira chaque matin avant de partager ses impressions avec son père à la table du déjeuner. Il est aussitôt captivé par la musicalité du texte, qui renferme tout ce qu’un compositeur peut espérer trouver dans un livret, que ce soit sur le plan dramatique, philosophique ou théâtral. L’idée d’une adaptation lyrique de Fanny et Alexandre ne s’imposera pourtant à lui que des dizaines d’années plus tard, suite à sa rencontre, par l’entremise du compositeur suédois Mikael Karlsson, avec Royce Vavrek, l’un des plus éminents librettistes du moment.
Convaincu que son père aurait adhéré à ce projet d’opéra, il donne son feu vert à l’équipe, qui se voit également accorder un accès illimité au scénario, aux notes et aux cahiers originaux de Bergman, pour certains encore inédits.
En la personne d’Ivo Van Hove, cette création peut compter sur un metteur en scène profondément imprégné de l’œuvre de Bergman, comme en témoignent ses adaptations au théâtre de Scènes de la vie conjugale (2005), de Cris et Chuchotements (2009) et du diptyque Après la répétition / Persona (2012). Tout comme le cinéaste, Van Hove a perçu dans le récit de Fanny et Alexandre les possibilités, la nécessité même d’une approche esthétique nouvelle, qu’il développe avec Jan Versweyveld, son scénographe attitré, et la costumière An D’Huys : « Pour chacun de ses films, Bergman a développé un style narratif nouveau en adéquation avec l’histoire. Un exercice auquel mon équipe et moi-même nous livrons également à chaque représentation : si raconter une histoire est une chose, la façon de la raconter en est une autre. Pour moi, l’essence de l’opéra est le passage à l’âge adulte d’Alexandre. De la traditionnelle table de Noël au théâtre où joue son père, du milieu austère de l’évêque à l’univers magique d’Ismaël, l’ami juif de la famille, le garçon découvre des mondes opposés qui se confrontent, tout en apprenant à faire ses propres choix. »
3. Une expérience sonore immersive
Qui dit opéra, dit musique. Mais comment porter à l’opéra un film comme Fanny et Alexandre, qui oscille entre moments de folle exubérance et de profonde quiétude ? Le compositeur Mikael Karlsson a trouvé la réponse. Mêlant allègrement véritables voix lyriques et dispositif symphonique empreint de technologie, sa partition, richement orchestrée et dirigée sous peu par Ariane Matiakh, incorpore des sonorités électroniques de pointe encore rarement entendues à l’opéra. En collaboration avec l’équipe son et vidéo de la Monnaie, il a mis au point un système audio surround immersif, utilisant des haut-parleurs disposés de manière stratégique dans le parterre, sur les balcons et même la coupole, permettant de plonger le public comme dans la peau d’Alexandre. « Non seulement ce système procure une expérience unique à 360 degrés, mais les vibrations sourdes provoquées par de puissants caissons de basse ravissent littéralement tout le corps. Grâce à une subtile amplification conçue pour préserver le délicat équilibre ainsi instauré, les chanteurs peuvent en outre adopter un style narratif beaucoup plus intimiste que dans un opéra traditionnel. Le spectateur perçoit mieux les émotions montrées sur scène, qu’il fait siennes peu à peu », explique Karlsson.
4. Une distribution étincelante
Fanny and Alexander se distingue par une distribution étincelante. Parmi les solistes, on trouve non seulement Peter Tantsits (Oscar) et Sasha Cooke (Emilie), qui font partie des talents les plus prometteurs de la nouvelle génération, mais aussi deux monstres sacrés du chant. Le rôle de l’évêque Edvard Vergérus est incarné par nul autre que Thomas Hampson. Le baryton américain le plus célèbre de ce siècle, avec plus de quatre-vingts rôles et une centaine d’enregistrements à son actif, a conquis des milliers de spectateurs à travers le monde grâce à ses nombreuses performances scéniques. Pour ses débuts à la Monnaie, il forme un duo diabolique avec une artiste qu’il est tout aussi inutile de présenter. Aventurière musicale et véritable légende vivante, la mezzo-soprano suédoise Anne Sofie von Otter, qui incarne pour l’occasion Justina, la cruelle gouvernante, était évidemment incontournable. Les rôles-titres de Fanny et Alexandre, enfin, reviennent à Sarah Dewez, Lucie Penninck et Jay Weiner, trois talents émergents des Chœurs d’enfants et de jeunes de la Monnaie.
5. Bergman, omniprésent à Bruxelles
Celles et ceux qui souhaitent approfondir l’œuvre de Bergman en marge de l’opéra Fanny and Alexander devraient ne pas quitter la capitale cet automne. Plusieurs centres culturels et cinémas bruxellois s’associent pour proposer un véritable cycle Ingmar Bergman, mettant en lumière le talent polyvalent du réalisateur. Dès le 21 novembre, vous pourrez découvrir le diptyque Après la répétition / Persona d’Ivo Van Hove au Théâtre National Wallonie-Bruxelles et, le 7 décembre, vous pourrez profiter de la projection de Fanny et Alexandre au Cinéma Galeries. Le Cinéma Palace et le RITCS projetteront également des films de Bergman, dont l’un sera présenté par Ingmar Bergman Jr. en personne.
Traduction : Grégory Dejaeger