«On y ressent toute l’âme de Rossini»
Emmanuel Trenque à propos de la Petite messe solennelle
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Le samedi 12 octobre, les Chœurs de la Monnaie feront leur rentrée en concert avec la Petite messe solennelle de Gioachino Rossini. Entre deux répétitions, leur chef Emmanuel Trenque nous explique ce qui fait toute la beauté de cette pièce, de la piété des pianissimos aux bulles de champagne des fugues.
Qu’est-ce qui vous plaît dans cette Petite messe ?
Sa pureté. Rossini était en fin de vie. Il n’avait plus composé d’œuvre de cette envergure depuis 35 ans et sa quasi-retraite après l’opéra Guillaume Tell en 1829. Et là, il surprend tout le monde en créant une œuvre à la fois immense et confidentielle. Je trouve que l’on y ressent toute l’âme du compositeur. Il se met à nu devant l’éternel. C’est une œuvre pieuse, poignante, incarnée. Une foi profonde et beaucoup de sensibilité se dégagent de cette partition. Par endroits, la musique semble presque impalpable. Et cela me touche énormément.
« Bon Dieu… la voilà terminée cette pauvre petite messe. Est-ce bien de la musique sacrée que je viens de faire ou de la sacrée musique ? J’étais né pour l’opera buffa, tu le sais bien ! Peu de science, un peu de cœur, tout est là. Sois donc béni et accorde-moi le Paradis. (…) J’ai mis dans cette composition tout mon petit savoir musical et j’ai travaillé avec un réel amour pour la religion. »
Gioachino Rossini
Quelles sont les qualités nécessaires pour l’interpréter ?
Pour le chœur, il s’agit de ne pas être trop démonstratif. Quand on parcourt la partition, on voit beaucoup de pianos, de pianissimos ; au début du « Kyrie », il y a même une indication avec quatre p. Rossini voulait clairement insister sur le recueillement de circonstance pour cette messe. Il y a bien sûr aussi de grandes envolées chorales, mais je pense qu’il faut se concentrer sur les nuances. Cela vaut aussi pour les solistes, qui ne doivent pas être trop lyriques, notamment parce que l’accompagnement est plus réduit. C’est un travail délicat, parce que les voix peuvent parfois moins bien s’homogénéiser dans les pianos. Si une voix se détache de l’ensemble, cela risque de perturber la balance.
Quelle version de la Petite messe ?
Nous allons interpréter la version avec piano, harmonium et quatre solistes. Au départ, il s’agit d’une commande du comte Alexis Pillet-Will, pour son épouse Louise, destinée à une prestation privée, dans un cadre intime. Face aux demandes qui ont suivi de pouvoir jouer la Petite messe solennelle dans des églises de plus en plus imposantes, Rossini en a produit une version pour chœur et grand orchestre. Mais l’essence de l’œuvre se trouve dans les formations plus réduites. L’oxymore du titre est déjà intéressant en soi : « petite » par son effectif initial de huit choristes et quatre solistes (qui chantaient aussi les ensembles), « solennelle » par son déroulement traditionnel de messe et l’utilisation du texte latin dans son intégralité. Pour l’accompagnement original, Rossini a eu l’idée géniale de jumeler le piano, l’instrument roi du romantisme, avec l’harmonium. Celui-ci fonctionne sur le même principe que l’orgue, avec des pédales qui actionnent des soufflets, permettant des effets dynamiques de crescendos et de diminuendos impossibles à produire autrement. Cela donne des sonorités inattendues tout en faisant la jonction entre le clavier du piano et le souffle des chœurs. Pour ce concert, Bart Rodyns jouera sur l’un de ses nombreux instruments de collection, un magnifique harmonium Alexandre de 1894.
En quoi cette œuvre diffère-t-elle de ses opéras ?
Cette œuvre assez éloignée du reste de son répertoire tout en conservant son identité de compositeur. Il y a deux grandes fugues qui terminent respectivement le « Gloria » et le « Credo » où l’on retrouve le côté jouissif, enlevé, théâtral, pétillant, presque swinguant de ses finales d’opéras, comme celui du premier acte du Barbier de Séville par exemple. Quand on arrive à ces deux passages, on se dit : « C’est lui. C’est Rossini ». Mais par endroit, on croit entendre du Palestrina ou du Bach. Il y a aussi un vrai travail sur les harmonies et sur la distribution du texte : le « Kyrie » uniquement pour le chœur, le « Christe » seulement a cappella, tel passage du « Credo » uniquement pour les solistes. Tout s’enchaîne superbement bien, grâce par exemple à un accord de piano ou une modulation qui vont maintenir la tension à la fin d’un morceau avant le passage au suivant.
Le travail d’un chef de chœur
J’ai rencontré le chœur pendant la production des Huguenots de Meyerbeer en 2022. À l’époque, il n’y avait plus de chef permanent et la Monnaie engageait un chef de chœur par production, c’était comme une sorte de long entretien d’embauche. C’était un fameux défi parce qu’il y a plus de deux heures de musique chorale à travailler dans cet opéra. Mais, tout de suite, une complicité s’est créée avec les chanteuses et les chanteurs de la Monnaie. J’ai découvert un chœur visant l’excellence. D’ailleurs, quand on recrute de nouvelles voix, on cherche toujours la perle rare. Depuis que j’ai obtenu le poste de chef permanent, j’essaie d’être un guide vers le son idéal, dans le respect de la vocalité, de la période et du compositeur. Je m’engage à 300 % pour chaque répétition et je pense que cette implication encourage les membres des Chœurs à toujours donner le meilleur d’eux-mêmes. Au-delà de cela, je pense être très exigeant sur le respect des moindres détails de chaque partition, de la manière la plus pure et la plus sincère possible. Cela nous permet, ensuite, une certaine flexibilité vis-à-vis des metteurs en scène ou des chefs d’orchestre. Et puis, j’essaie de faire en sorte que tout ce travail se passe dans la bonne humeur !
Quel extrait de la Petit messe solennelle choisiriez-vous d’écouter en boucle ?
La partie que j’écoute en boucle depuis plusieurs années déjà, c’est la fugue finale dans le « Gloria », intitulée « Cum sancto spiritu ». On y sent toute la jubilation, toutes les bulles de champagne de la musique de Rossini. Qui plus est, cette fugue est magnifiquement structurée, avec une précision « démoniaque ». Quand on commence à l’écouter, impossible de s’arrêter.
À quelles émotions le public peut-il s’attendre ?
Au départ, le concert était prévu dans l’église des Dominicains, qui était propice à créer une ambiance particulière. Je suis ravi qu’on chante finalement au Théâtre de la Monnaie, mais le ressenti sera différent. Cela va dépendre de l’état d’esprit dans lequel les gens vont venir ce matin-là, de l’énergie dans la salle. J’espère que tout le monde se laissera porter, guider, bercer par cette musique. Le début de l’œuvre a quelque chose de mystérieux, les instruments puis les voix arrivent très progressivement, la mélodie semble émaner de nulle part. J’inviterais volontiers le public à fermer les yeux pendant ces premières minutes pour laisser la magie opérer…