« Ici, on peut apprendre des métiers pour lesquels il n’existe pas de formations »
Thomas Desmed, Régisseur principal
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C’est depuis les coulisses, lorsque Thomas Desmed donne son ‘top’, que le chaos se discipline sur la scène. Notre régisseur principal nous explique ici les différents enjeux de son métier.
En quoi consiste votre travail ?
Mon rôle, ainsi que celui de mon équipe, est de coordonner les aspects artistiques et techniques d’une production, que ce soit pendant les répétitions ou les représentations. Cela implique la gestion quotidienne des grandes lignes directrices déjà établies par les différents départements techniques. Nous intervenons dans la dernière étape du processus pour harmoniser toutes ces partitions brutes, en suivant les indications de l’équipe de mise en scène et de la direction musicale. Notre rôle consiste à faciliter le travail sur scène plutôt qu’à le diriger, chaque intervenant et technicien restant pleinement responsable de son domaine. On peut comparer notre travail à celui d’un aiguilleur qui doit envoyer le bon train sur la bonne voie au bon moment, mais la réussite repose avant tout sur la capacité de chaque conducteur à mener sa machine à destination.
En plus de cela, nous veillons au bon déroulement des répétitions et des spectacles en termes d’horaires, de présence des intervenants, de sécurité et parfois de discipline, mais toujours avec modération et dans le but de rendre le travail plus efficace, plus sécurisé et surtout plus agréable.
Avez-vous toujours voulu travailler dans le secteur de l’opéra ?
Non, c’est un hasard, bien que j’aie toujours été ouvert au monde artistique grâce à mon éducation et quelques expériences au cours de ma jeunesse. J’étais un étudiant médiocre et j’ai très vite arrêté mes études d’histoire de l’art pour travailler avec mon oncle brocanteur, ensuite j’ai été appelé à l’armée pour faire mon service militaire. Après cela, j’ai commencé à chercher du travail et une amie m’a dit que la Monnaie cherchait quelqu’un pour un petit job d’habilleur le soir même. Je n’en suis plus jamais reparti, c’était il y a 37 ans.
« C’est cette possibilité d'évolution qui permet à de nombreuses personnes de faire une carrière complète ici, en progressant dans leurs fonctions »
Quel a été votre parcours au sein de la Monnaie ?
J’ai commencé ma carrière comme habilleur pendant quelques années, mais je savais que je ne voulais pas faire cela toute ma vie. Je m’intéressais beaucoup au travail d’accessoiriste ou de régisseur. J’avais de bons rapports avec Jean-Pierre Stevens, le chef régisseur de l’époque, qui m’a donné l’opportunité de faire un stage sur le plateau. C’est ainsi que j’ai continué en tant que régisseur. En 2013, le poste de chef de la Régie est devenu disponible et j’ai tenté ma chance. Depuis, j’occupe cette position.
La Monnaie est un lieu où il est encore possible d’apprendre des métiers pour lesquels il existe peu ou pas de formations officielles. Ici, on peut se former sur le terrain, et j’en ai profité, comme beaucoup d’autres. C’est cette possibilité d’évolution qui permet à de nombreuses personnes de faire une carrière complète ici, en progressant dans leurs fonctions.
Depuis votre arrivée, quelles productions vous ont vraiment marqué, et pour quelles raisons ?
Plus que des productions en particulier, c’est le bonheur d’avoir observé des maîtres de la mise en scène : Haneke, Grüber, Stein, Berghaus, Bondy, Warlikowski et peut-être un ou deux autres encore… c’est un grand privilège. Sans oublier les grands chefs d’orchestre, parmi lesquels plusieurs ont été nos directeurs musicaux. Parfois, il suffit de nouer une relation de travail enrichissante professionnellement pour garder un souvenir ému d’une production. Les opéras de mes débuts m’ont émerveillé, mais le temps passant, je suis devenu plus difficile à surprendre. Ce sont des productions comme Jenůfa de Leoš Janáček qui m’ont plu sous tous les aspects, tant au niveau du travail avec les équipes que l’œuvre en elle-même.
Quelle est votre semaine type au travail ?
En production, la journée type commence vers 9 h, nous vérifions avec les équipes techniques que tout sera prêt pour commencer la répétition à 10 h et, éventuellement, nous leur donnons les dernières indications sur le déroulement de la répétition. Nous veillons à ce que les artistes arrivent selon le programme établi la veille, et nous offrons un support à la mise en scène et aux services techniques pour que la répétition se déroule au mieux.
C’est à nous de gérer les différentes pauses, les présences des artistes aux activités annexes (essayages, coaching…) et de noter dans la partition les actions qui devront être « topées » pendant le spectacle (mouvements de décors, entrées d’artistes, effets spéciaux…). Ce n’est pas uniquement une prise de note passive, car nous intervenons également dans l’élaboration de ces actions avec les autres responsables techniques et les assistants.
En fin d’après-midi, nous participons à l’élaboration du planning du lendemain avec l’équipe de mise en scène, le staff musical, les assistants et le planning artistique. Actuellement, il nous revient de diffuser ce planning vers les personnes concernées, externes et internes.
Quand les répétitions commencent sur scène, nous travaillons habituellement l’après-midi et le soir, mais aussi en matinée avec des séances d’éclairage auxquelles nous participons activement puisqu’il nous reviendra de toper les effets de lumière en cours de spectacle.
Dans la dernière ligne droite, environ dix jours avant la première, s’ajoutent à tout cela les séances de notes (c’est-à-dire un moment d’échanges de critiques du point de vue artistique autant que technique) après les répétitions, avec heureusement de quoi nous nourrir – ce sont de très longues journées, avec toutes les accumulations de travail qu’il faut pouvoir gérer.