Lenneke Ruiten
Six temps forts à la Monnaie
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Depuis plus de dix ans, la soprano Lenneke Ruiten émeut et hypnotise le public de la Monnaie à travers un répertoire très varié, de Mozart au bel canto, du grand opéra français au modernisme tchèque. Alors qu’elle se prépare à donner son premier récital à Bruxelles, nous revenons avec elle sur six temps forts de sa carrière à la Monnaie.
1. Ophélie dans Hamlet
« À vos jeux, mes amis »
« Chaque carrière musicale connaît des moments qui sont déterminants pour le reste de votre vie d’artiste. Pour moi, cette Ophélie dans Hamlet en a fait partie. Jusque là, j’étais surtout considérée comme une soprano pour les concerts et la musique de chambre, et je peinais à me faire une place dans le monde de l’opéra. C’est alors que mon agent m’a appelée pour savoir si je pouvais interpréter Ophélie à Bruxelles. La dernière fois que j’avais chanté sa scène de folie, c’était lors de mes examens de fin d’études au conservatoire, mais heureusement, elle était toujours bien présente dans ma voix et dans ma mémoire musculaire. J’ai alors aussitôt passé une audition et... j’ai obtenu le rôle ! C’était un rêve de travailler avec le chef d’orchestre Marc Minkowski, le metteur en scène Olivier Py et Stéphane Degout sur cet Hamlet. Par ailleurs, les scènes de folie ont toujours un si bel arc, traversé par les grandes émotions humaines telles que l’amour, le chagrin ou le deuil dans leur forme d’expression la plus extrême. »
2. Aspasia dans Mitridate, re di Ponto
« Pallid' ombre, che sorgete »
« Depuis que j’ai attiré l’attention des chefs d’orchestre et des programmateurs en sortant le CD Exsultate, jubilate en 2009, Mozart est devenu la pierre angulaire de ma carrière. Il en va de même à la Monnaie : Aspasia, sous la direction musicale de Christophe Rousset et mis en scène par Le Lab, a été le premier des cinq rôles mozartiens à Bruxelles. »
« C’est peut-être dû au fait que, lors de concerts, je dois souvent m’adresser seule au public, mais sur la scène de l’opéra, j’aime avoir quelqu’un à qui donner la réplique. Même dans les arias à voix seule, vous pouvez vous élever mutuellement à un niveau supérieur. Ce fut certainement le cas avec le beau et déchirant « Pallid’ ombre ». Aspasia n’envisage pas son suicide ici, dans la solitude, mais Mitridate, interprété par le fantastique Michael Spyres, l’y incite. Cela ajoute une toute nouvelle dimension de suspense théâtral à cette aria contemplative. »
3. Bystrouška dans Foxie!
Duo du deuxième acte
« Je ne garde que de bons souvenirs de Foxie!. L’artiste belge Christophe Coppens a donné une tournure spéciale et magnifiquement colorée à l’opéra La petite renarde rusée de Janáček. En tant qu’artiste, je trouve qu’il est difficile de participer à une production dans laquelle je ressens un concept de mise en scène diamétralement opposé à la musique et au texte. Cependant, l’interprétation de Christophe dans laquelle sont opposés non pas des humains et des animaux, mais des adolescents et des adultes, était tout à fait juste d’un point de vue musical et théâtral. L’un des temps forts a été mon duo avec Eleonore Marguerre, qui interprétait le rôle de la Renarde. C’était merveilleux de pouvoir jouer avec elle cet amour naissant, florissant. »
4. Giunia dans Lucio Silla
« Ah se il crudel periglio »
« Le rôle de Giunia dans Lucio Silla, un opéra que Mozart a écrit à l’âge de seize ans (!), est célèbre pour cette aria, qui est pratiquement impossible à chanter. Elle est non seulement longue, mais aussi à la fois très haute et très basse dans la tessiture, et incroyablement rapide. Pour l’interpréter correctement, j’ai dû laisser tomber une note ici et là, puis prendre une inspiration rapide et poursuivre. Avec une bonne condition physique et de la concentration, c’était tout à fait faisable. Bien sûr, la relation artistique avec le chef d’orchestre Antonello Manacorda m’a aussi aidée. Ressentir sa confiance est incroyablement important lorsqu’on se risque à interpréter une aria extrêmement difficile comme celle-ci. »
« La collaboration avec le metteur en scène Tobias Kratzer m’a également été très précieuse. Peu de temps auparavant, j’avais chanté le rôle de Giunia à la Scala de Milan, dans une production très classique. Cette fois-ci, il m’a mise au défi de jouer le rôle d’une manière totalement différente, dans une mise en scène qui s’axait fortement sur les aspects sinistres de la soif de pouvoir et de l’inhumanité de l’opéra. Je pense que cette production m’a vraiment fait grandir en tant qu’actrice. »
5. Marguerite de Valois dans Les Huguenots
« Ô beau pays de la Touraine »
« Le deuxième acte des Huguenots se déroule dans le jardin du palais de la reine Marguerite. Son personnage, et par conséquent l’ensemble de l’acte, se démarquent par une certaine légèreté. Dans un monde où les catholiques et les protestants entretiennent une relation très conflictuelle, elle est l’une des rares personnes à ne pas s’intéresser à la politique ou aux jeux de pouvoir. Pour elle, tout ce qui compte, c’est l’amour. Nous avons donc affaire à un personnage qui apparaît parfois comme très mature, parce qu’elle est au-dessus des intrigues politiques, mais qui semble parfois aussi très naïf et enfantin. Dans sa mise en scène, Olivier Py l’a montré à merveille : lorsque Marguerite et Raoul de Nangis se rencontrent, l’attirance sexuelle est immédiatement palpable ! J’ai eu une très bonne connexion avec Enea Scala, qui joue le rôle de Raoul, et nous nous sommes beaucoup amusés lors de notre scène commune, où nous plongeons dans l’eau. Ma première aria, « Ô beau pays », reste toutefois la plus délicate de la soirée. En tant que chanteuse, vous devez veiller à ce qu’elle touche le public, en livrer une interprétation à la fois techniquement parfaite et agréable pour pouvoir ensuite vous lancer dans le reste de votre acte en toute sérénité et avec beaucoup de plaisir. »
6. Mary Stuart dans Bastarda
« Deh! Tu di un’umile preghiera »
« J’ai chanté le rôle de Mary Stuart dans Bastarda, un double spectacle qui raconte de la vie de la reine Elizabeth I à travers les temps forts des quatre opéras « Tudor » de Donizetti. C’était un peu comme une série Netflix et j’ai remarqué que ce format plaisait bien au public. Elizabeth étant mise en avant, mon personnage, qui est la figure centrale dans Maria Stuarda, apparaît un peu plus en retrait. »
« Dans Bastarda, mon temps fort a été la scène finale tirée de Maria Stuarda, dans laquelle la rivale écossaise d’ Elizabeth fait ses adieux avant son exécution. La prière qu’elle chante à cette occasion est d’une beauté bouleversante. J’ai versé quelques larmes dans ma loge après cette scène à pratiquement chaque représentation. »