La Monnaie / De Munt LA MONNAIE / DE MUNT

Die Walküre

Synopsis musical avec Alain Altinoglu

Marie Mergeay, Thomas Van Deursen
Temps de lecture
8 min.

Lisez le synopsis complet de Die Walküre, accompagné d’une sélection de quelques grands moments musicaux, effectuée et commentée par le chef d’orchestre Alain Altinoglu.

PRÉCÉDEMMENT

Les dieux, les Nibelungen et les géants se livrent une lutte sans merci pour s’approprier l’or du Rhin et l’anneau qui confère le pouvoir sur le monde entier. Alberich, qui a renoncé à l’amour pour s’emparer de l’or du Rhin, a proféré une malédiction sur l’anneau qu’il en a fait forger : quiconque ne le possède pas sera rongé par la convoitise, quiconque le possède mourra.
Les dieux séjournent à présent au Walhalla, mais le géant Fafner – désormais le seul détenteur de l’anneau après qu’il a tué son frère – représente une menace pour leur toute-puissance. Il vit au fond des bois où, grâce au pouvoir d’un heaume magique, il s’est métamorphosé en un dragon invincible afin de garder son trésor.

En quête de réponses sur l’avenir du monde, le dieu suprême Wotan s’est rendu chez la déesse-mère Erda. Il a conçu avec elle la Walkyrie Brünnhilde qui, tout comme ses sœurs, recueille les héros tombés sur le champ de bataille et les conduit au Walhalla afin qu’ils protègent cette forteresse. Wotan a aussi erré longtemps sur terre sous la forme de Wälse, le loup. De son amour pour une femme sont nés les jumeaux Siegmund et Sieglinde, les Wälsungen, qui ont été séparés dans leur enfance. Wotan espère qu’un héros descendant de cette lignée pourra reprendre l’anneau à Fafner.

PREMIER ACTE

La première expérience d'Alain Altinoglu à Bayreuth

Cette introduction a aussi une saveur très personnelle pour moi. Je venais d’avoir dix-neuf ans quand je suis allé pour la première fois à Bayreuth. Nora [Gubisch] y passait un concours de chant, au moment où Die Walküre était à l’affiche, mais nous n’avions pas de places pour la représentation. Une heure avant la fermeture des portes, un homme, devant le théâtre, nous propose des places à 50 marks. Pensant que c’est une arnaque, nous allons voir à l’accueil, où la guichetière nous explique qu’il faut réserver ses places huit ans à l’avance ! Alors nous repartons à la recherche de l’homme qui vendait des places. Nous le retrouvons une demi-heure avant le début du spectacle, et il nous propose des tickets à 500 marks cette fois. Désespérés, nous retournons au guichet et là, coup de chance, deux places se libèrent au milieu de la salle.
Je ne connaissais rien du rituel de Bayreuth. Les sièges en bois, la chaleur, l’installation protocolaire du public rangée par rangée, la fermeture des portes à clef… Les lumières se sont éteintes dans un silence absolu. Et puis, sortie de nulle part (l’orchestre n’est pas visible dans cette salle), la tempête de Die Walküre éclate. Quel choc ! Cela m’a tellement pris aux tripes que j’en ai eu les larmes aux yeux. Je pense toujours à ce moment-là quand j’écoute ce passage.

Un soir, tandis que la tempête fait rage, un inconnu arrive épuisé chez Hunding. Seule dans la maison, l’épouse de ce dernier, Sieglinde, accueille l’homme blessé et sans armes, sans savoir qu’il s’agit de son frère Siegmund. Tandis qu’elle est touchée par le sort de l’inconnu, qui se fait appeler Wehwahlt (littéralement: voué au malheur), celui-ci craint que sa présence attire le malheur sur la maison. Il décide néanmoins d’attendre Hunding – à l’instar de Sieglinde, il est bouleversé par l’émotion qui le gagne.

Hunding, membre des Neidingen, revient d’une battue infructueuse qui avait été organisée afin de rattraper un fugitif dans la forêt. À contrecœur, il offre l’hospitalité à l’inconnu. Il remarque à quel point son hôte ressemble à son épouse. Siegmund, qui se présente à nouveau en tant que Wehwahlt, raconte son histoire: autrefois, au retour d’une partie de chasse, lui et son père ont retrouvé leur maison réduite en cendres; sa mère avait été assassinée, et sa sœur jumelle, enlevée. Ils ont ensuite longtemps vécu dans la forêt, traqués tels un loup et son louveteau. Un jour, ils ont été attaqués par des Neidingen et, au cours de la bataille, Siegmund a perdu la trace de son père. Depuis lors, il est voué au malheur. Récemment, alors qu’il tentait de défendre une jeune femme que l’on voulait marier de force, il a tué plusieurs de ses frères et dû fuir, sans armes.

En entendant ce récit, Hunding comprend que l’inconnu est le fugitif qu’il traquait dans la forêt. En vertu du code de l’hospitalité, Hunding accepte que l’étranger passe la nuit dans sa maison ; mais le lendemain matin, il l’affrontera en duel. Sieglinde verse un somnifère dans la boisson de Hunding et se retire pour aller se coucher. Siegmund se sent irrésistiblement attiré par elle.

Une fois son mari profondément endormi, Sieglinde revient auprès de Siegmund et lui parle de l’épée qu’un étranger a fichée dans un tronc d’arbre le jour où elle a épousé Hunding, contrainte et forcée. Siegmund comprend qu’il s’agit de l’épée dont lui avait parlé son père, en lui confiant qu’il la trouverait lorsqu’il serait dans la détresse. Les deux jeunes gens se sentent prédestinés l’un à l’autre et prennent conscience qu’ils sont frère et sœur. Après que Sieglinde lui a donné le nom de Siegmund, le jeune homme extrait du tronc l’épée libératrice – Nothung. À présent, ils ne font plus qu’un : « Braut und Schwester bist du dem Bruder, so blühe denn Wälsungen-Blut! » [Tu es pour le frère, et l’épouse et la sœur, que vive le sang des Wälsungen !] Ils s’enfuient.

DEUXIÈME ACTE

Wotan convoque sa fille Brünnhilde pour qu’elle l’assiste lors de la confrontation imminente entre Hunding et Siegmund, son fils, en apportant la victoire à ce dernier. Alors que Brünnhilde s’éloigne pour se préparer au combat, arrive Fricka, la déesse de la fidélité conjugale. Elle exige de son époux Wotan qu’il respecte les droits maritaux de Hunding. Pour elle, il est impensable que le dieu suprême prenne sous sa protection un couple adultère et incestueux. Tout en évoquant l’amour pur qui unit Siegmund et Sieglinde, Wotan souligne que le jeune homme est le héros susceptible d’aider les dieux à arracher l’anneau à Fafner. Inflexible, Fricka exige en outre que Brünnhilde n’intervienne pas en faveur de Siegmund. Cédant à ses injonctions, Wotan lui promet qu’il mourra.

De retour près de son père, Brünnhilde le voit désespéré. Wotan lui raconte alors toute son histoire: l’or volé, l’anneau d’Alberich dont il s’est emparé par la ruse, la malédiction... Et aussi comment il a forcé Erda à répondre à ses questions cruciales pour l’avenir du monde, et comment celle-ci est devenue la mère de Brünnhilde. Aux côtés des autres Walkyries, Brünnhilde doit empêcher que se réalise la prédiction d’Erda concernant la chute des dieux – alors même que Wotan risque une nouvelle confrontation avec Alberich et qu’un pacte le lie à Fafner. Il ne peut donc pas voler l’anneau lui-même : il a besoin pour cela d’un héros indépendant, qui accomplisse cette tâche de son propre chef. Siegmund aurait pu être ce héros, mais Wotan voit à présent son espoir s’évanouir. De plus, il a appris qu’Alberich a conçu un descendant, à qui le Nibelung pourra transmettre son désir de vengeance. Brünnhilde juge incompréhensible que son père, auquel elle se sent unie par des liens profonds, lui enjoigne de prendre le parti de Hunding plutôt que celui de Siegmund, qui compte tant pour lui.

Pendant ce temps, Siegmund et Sieglinde sont toujours en fuite. La jeune femme, épuisée, exprime son dégoût d’avoir dû céder à Hunding, qu’elle n’a jamais aimé ; Siegmund tente de la réconforter, et elle finit par s’endormir. Brünnhilde apparaît alors au jeune homme pour lui annoncer que – selon le vœu de Wotan – il périra au combat et sera emmené au Walhalla. Refusant ce destin, Siegmund préfère mourir avec Sieglinde. Profondément émue par sa détermination et son amour, la Walkyrie décide d’enfreindre l’ordre de son père et de protéger Siegmund. Grâce à son aide, le duel tourne d’abord à l’avantage du Wälsung, mais Wotan intervient: il brise l’épée de Siegmund, ce qui permet à Hunding de l’abattre. Brünnhilde disparaît en emportant Sieglinde et l’épée en morceaux. Wotan tue ensuite Hunding avec mépris, avant de poursuivre sa fille pour la punir de sa désobéissance.

INTERPRÉTER LES CONTRASTES

Alain Altinoglu : Cette deuxième partie du Ring est une œuvre pleine de contrastes. On retient parfois de Die Walküre ses parties orchestrales les plus tumultueuses, notamment l’ouverture de chacun des trois actes. Mais la partition comporte surtout beaucoup d’échanges dramatiques nuancés entre deux personnages, qu’il s’agisse d’un couple ou d’un père et sa fille. Dans ces dialogues se manifestent autant d’extase, de colère et d’intensité que de douceur et de délicatesse. Au cœur de ces passages, l’orchestre soutient cette variété de manière très précise, presque comme pour de la musique de chambre. Ce qui exige du chef d’orchestre de fournir un travail sur mesure. Il faut veiller à maintenir ce que j’appelle « la grande architecture », ce qui va distinguer la lecture de l’œuvre, par exemple : plus rapide, plus lent, plus analytique, avec plus d’émotion… Mais dans chaque scène, il faut pouvoir s’adapter aux besoins spécifiques des interprètes. Chacun respire différemment, par exemple. Ce qui me guide, c’est toujours le texte : est-ce que j’offre toujours, au chanteur ou à la chanteuse, la meilleure situation pour que ses mots soient intelligibles et que sa voix soit bien mise en valeur. J’y attache une grande importance.

TROISIÈME ACTE

Toutes les Walkyries se rassemblent pour conduire au Walhalla les héros tombés au combat. Elles sont étonnées de voir Brünnhilde s’approcher en apportant non pas un homme, mais une femme, Sieglinde. Apprenant que leur sœur est poursuivie par Wotan, elles refusent d’abord de l’aider. Alors que Sieglinde, épuisée et traumatisée, préfère mourir, Brünnhilde lui annonce qu’elle porte un enfant de Siegmund, qui s’appellera Siegfried. La jeune femme reprend courage: elle remercie la Walkyrie et s’enfuit en emportant les morceaux de l’épée.

À l’arrivée de Wotan, les Walkyries essaient de cacher Brünnhilde. Hors de lui, le dieu suprême exige qu’elle se montre et lui retire sa protection pour la punir d’avoir bravé son ordre : elle ne sera plus une Walkyrie au statut de demi-déesse, mais une simple mortelle. Stupéfaite, Brünnhilde tente de convaincre son père de ses bonnes intentions: en ne respectant pas son injonction, elle a répondu à son vœu le plus intime. Wotan constate une fois de plus qu’il est pris au piège, mais il ne cède pas. Comme Brünnhilde a fait le choix de l’amour, elle n’est plus la bienvenue au Walhalla. Bannie sur un massif rocheux, elle dormira jusqu’au jour où un mortel viendra la réveiller. Elle supplie son père de l’entourer d’un cercle de feu que seul un héros pourra franchir. Bouleversé, Wotan prend congé de sa fille – « Leb’ wohl! [...] – die, die ich liebte... » [Adieu ! [...] toi que j’aimais...] – et appelle Loge, le dieu du feu, afin qu’il protège le sommeil de Brünnhilde d’une mer de flammes. Wotan proclame que quiconque craint sa lance ne pourra jamais franchir le feu.

Traduction : Brigitte Brisbois