Le Nez
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Chaque opéra contient ses propres enjeux. Chaque production, ses propres défis. Guidé par la folie qui caractérise le Nez de Dimitri Chostakovitch, Àlex Ollé, metteur en scène au sein du collectif La Fura dels Baus, clôture la saison de la Monnaie avec un spectacle exubérant, sauvage, effréné… En coulisses, sa mise en scène requiert toute l’expertise et l’ingéniosité de nos équipes pour gérer la grande masse d’éléments qui font l’identité de la production. Une histoire de chiffres, de la fosse aux ateliers…
13 solistes et 48 choristes
Tout émane du livret. Le Nez est une fable satirique dont les nombreux tableaux sont condensés sur deux heures de musique. Si l’on suit tout d’abord les mésaventures de Platon Kouzmitch Kovaliov à la recherche de son nez qui a décidé de vivre sa propre vie, on ne peut faire abstraction de l’immense galerie de 80 personnages qui peuple l’opéra et dont les allées et venues sont incessantes. Dans notre production, treize solistes se partagent une quarantaine de rôles « principaux », et les autres apparitions sont confiées à un grand effectif choral : dix sopranos, dix altos, treize ténors, sept barytons et huit basses.
190 silhouettes
S’emparant de cette large distribution, Àlex Ollé s’est orienté vers une mise en scène énergique et surréaliste où le plateau est sans cesse envahi de personnages hauts en couleurs. Ce foisonnement d’apparitions qui implique une grande quantité de costumes – et de changements de costumes (parfois le simple ajout ou retrait d’un vêtement) – offre à voir un ensemble de 190 silhouettes différentes. La plupart des chanteur·euse·s et des choristes revêtent ainsi plusieurs costumes tout au long du spectacle.
Créée à Copenhague, cette production est arrivée à la Monnaie pendant les dernières semaines du mois de mars. Le spectacle y étant monté en danois et avec une autre distribution, l’étiquetage des costumes n’a pas été simple à démêler : il a fallu faire un tri méticuleux et une nouvelle répartition pour la distribution bruxelloise. Dans certains cas, quelques retouches ont été nécessaires, notamment lorsque les vêtements avaient été portés des mois auparavant par trois ou quatre personnes ayant des mesures différentes ; sans compter les changements souhaités par le costumier qui a souhaité supprimer certaines silhouettes au profit d’autres aux looks encore plus extravagants, fabriquées à l’aide de vêtements dénichés dans notre réserve ou achetés en seconde main. Tous les vêtements ont bien été attribués à leurs nombreux destinataires, et après une série d’essayages et de nouvelles prises de mesures, les costumes qui nécessitaient une mise à jour ont été envoyés aux ateliers, notamment pour donner à certains un style urbain un peu sale.
Pour que le spectacle se déroule sans souci vestimentaire, il faut établir un inventaire précis des costumes tout en collaborant avec l’habillage. Pour les quinze habilleurs et habilleuses de la production, la seule véritable difficulté réside dans la quantité de changements en loge et de changements rapides en coulisses (une opération qui doit pouvoir s’effectuer en moins de cinq minutes), d’autant plus que, contrairement à la version donnée à Copenhague, les équipes ne bénéficieront pas d’un entracte.
En outre, en raison des différences entre les deux distributions, la conduite des changements de costumes a été complètement révisée. Qui plus est, ces changements devront se dérouler à un rythme soutenu dans des coulisses étroites et surchargées de monde et d’accessoires (voir ci-dessous).
Un des changements importants à noter est celui qui verra la mise en place au préalable des costumes des policiers dans les cintres, et l’élaboration d’un système de sécurité pour éviter qu’ils ne tombent inopinément sur la scène.
Une silhouette n’est pas complète sans maquillage. Ici aussi, la quantité de transformations doit être soulignée. Dans les loges et directement en coulisses, les équipes se tiendront prête à modifier le visage des chanteurs et chanteuses, grâce à de nombreuses perruques et des retouches de maquillage.
La production requiert également une immense quantité de faux nez. Si certains de ceux provenant de Copenhague ont pu être récupérés (car essentiellement utilisés pendant les répétitions), il a fallu en fabriquer de nouveaux. On a appliqué un moulage en plâtre semblable à ceux réalisés dans les hôpitaux sur le nez des membres de la distribution. Sur base de ce moule « négatif », on a fabriqué un autre moule « positif » en plâtre, disposé ensuite sur un socle pour le transformer en faux nez allongé, réalisé en silicone. Il faut compter approximativement quatre jours pour la confection de trois nez. Au total, à la fin des représentations, les solistes auront porté entre 140 et 150 faux nez…
750 accessoires et un puzzle géant
On définit comme « accessoire » tout élément manipulé par les membres d’une distribution : cela inclut aussi bien les petits objets que d’imposantes structures, ainsi que tous les effets spéciaux intervenant dans la mise en scène (poches de sang, pyrotechnie, etc.). Selon cette définition, notre production du Nez ne compte pas moins de 750 accessoires, parmi lesquels un lit roulant, un salon de coiffure, un escalier en colimaçon, une douche, des valises, des barrières, des chaises roulantes, des pupitres, des bancs, des donuts, des pancartes, des tentes…
La diversité des éléments concernés n’a d’égale que leur volume. La quantité d’accessoires est telle qu’il a fallu modifier la configuration de la Salle Malibran, où se déroulent toujours les premières répétitions de nos opéras. On y reproduit généralement les conditions dans lesquelles le spectacle aura lieu, y compris l’espace prévu en coulisses. Ici, la répartition des accessoires entre cour et jardin, l’arrière-scène et même les cintres s’est avérée particulièrement délicate, et certains éléments seront conservés dans l’ascenseur de scène voisin, qui sera maintenu ouvert et accessible tout au long de la représentation.
Le décor de la production trouve sa principale source d’inspiration dans la monumentale entrée de la Banque Nationale du Danemark, conçue par l’architecte Arne Jacobsen dans les années 1970. Constituée de murs gris de douze mètres de haut, cette surface lisse est ici progressivement envahie par un nuage métallique abstrait, non sans rappeler celui qui orne la façade de la Fondation Tapiès à Barcelone. Dans cette production, la perte du nez s’inscrit au cœur d’un cauchemar grotesque. C’est la fonction de l’immense structure imaginée par Àlex Ollé et Alfons Flores, le décorateur, que d’animer les visions oniriques du protagoniste à l’aide de savants effets de lumières nécessitant l’utilisation de soixante projecteurs différents qui créent des formes diverses (une rue agitée, des slogans, une cathédrale, des visages…) à l’intérieur du nuage. Ce dernier est fabriqué à l’aide d’un véritable puzzle de métal constitué de 246 pièces, réparties sur cinq frises horizontales de huit mètres de large et quatre pendrillons verticaux de onze mètres de haut.
Trier, ranger, étiqueter, construire, diviser l’espace disponible à grands renfort d’organisation, de collaboration entre les différentes équipes sur le plateau et dans les loges, de plans, de marquages au sol… Tel est le ballet millimétré exécuté par une centaine de personnes en coulisses pour donner vie sur scène à la folie chaotique du Nez.