La Monnaie / De Munt LA MONNAIE / DE MUNT

Emma Posman

#mirrorselfie

Eline Hadermann
Temps de lecture
5 min.

De l’immense miroir suspendu dans la cage d’escalier au plus petit miroir de maquillage dans les coulisses, la Monnaie regorge d’endroits où les artistes peuvent s’adonner à l’introspection. C’est l’exercice auquel se livre aujourd’hui la soprano Emma Posman, qui s’illustre en ce moment, vocalement et scéniquement, dans le rôle de Talus dans Solar.

Vous vous regardez souvent dans le miroir ?

Pas plus souvent que la moyenne, je pense. Je l’utilise pour prendre soin de ma peau chaque matin (rires), et aussi parfois pour répéter des arias. Quand je travaille mon interprétation, j’aime me regarder dans la glace pour définir quelles expressions du visage fonctionnent ou ne fonctionnent pas. Dans l’ensemble, j’entretiens une saine relation avec mon reflet.

Dans Solar, vous interprétez actuellement le rôle de Talus, le neveu de Dédale, un surdoué qui met en garde vis-à-vis d’une crise environnementale. Comment vous identifiez-vous à ce personnage ?

Talus me rappelle à quel point il est important de prendre conscience des enjeux climatiques. Je fais partie d’une génération qui a grandi avec cela, et j’essaie de véhiculer cette prise de conscience dans ma vie artistique et personnelle également : je mange par exemple peu de viande, et si j’ai la possibilité de voyager à l’étranger en train en moins de 10 heures, je privilégierai toujours cette solution à l’avion, bien qu’il soit plus rapide et souvent moins cher. Mon impact individuel est toutefois limité, c’est pourquoi Solar se termine également par un appel éloquent à l’attention de tou·tes : réveillez-vous !

© Simon Van Rompay
Quels traits de caractère Emma et Talus ont-ils en commun ?

D’un côté, pour l’interprétation d’un rôle, tout part toujours de soi-même, de ses propres expériences et convictions. Je suis assez fragile et sensible – un trait de personnalité que l’on associe souvent aux artistes. Comment faire passer des émotions (souvent intenses) par la voix, sans être sensible ? Je pense que ma sensibilité correspond assez bien au personnage de Talus : quelqu’un qui se préoccupe du monde qui l’entoure. Mais, d’un autre côté, il faut aussi pouvoir prendre de la distance par rapport à ses propres croyances, pour laisser place à d’autres traits de caractère. C’est pourquoi je cherche souvent des références. Avec l’équipe artistique, nous avons établi qu’il y avait de nombreuses similitudes entre Greta Thunberg et mon personnage. Pendant ma préparation, je me suis donc demandé comment elle était, ce qu’elle pensait, ressentait...

Solar est un spectacle pour les jeunes et par les jeunes. La jeune Emma est-elle encore parfois présente lors des répétitions ?

J’aime voir à quel point les jeunes du chœur d’enfants sont passionnés par ce qu’ils font. Chacun a fait le choix de devenir chanteur de haut niveau. Je me reconnais énormément dans cet état d’esprit : j’ai moi aussi trouvé ma vocation dans la comédie musicale lorsque j’étais enfant. Leur enthousiasme est contagieux et cela me permet de prendre conscience du mien et de l’importance qu’il a toujours à mes yeux. L’amour du métier ne s’éteint jamais.

Comment vous décririez-vous actuellement en tant que jeune artiste ?

Je me décrirais comme une chanteuse qui cultive sa créativité. J’aime travailler de nouvelles choses : cela me donne beaucoup d’énergie. Cela fait environ 5 ans que je travaille dans ce secteur et mon expérience se concentre principalement sur le répertoire classique. Mais grâce à mon père (Lucien Posman, n.d.l.r.), qui est compositeur, j’ai aussi une grande affinité avec la musique contemporaine. Les créations mondiales offrent une sorte de liberté que l’on ressent généralement beaucoup moins dans le canon traditionnel. Travailler avec Howard Moody est absolument fascinant, car il est capable de communiquer sa propre vision. Tout au long du processus de travail, on parvient ensemble à des solutions et à certaines idées vis-à-vis de tout ce qu’il est possible de faire avec la musique. Les options sont infinies, et c’est précisément cela qui est extrêmement intéressant.

Quel regard portez-vous sur le début de votre carrière professionnelle ?

J’ai fait mes débuts à l’opéra à l’âge de 23 ans – en tant que remplaçante de dernière minute ! – en endossant le rôle de la Reine de la nuit dans une production de Die Zauberflöte au Festival de Salzbourg, lors d’une retransmission télévisée en direct. C’était complètement inattendu. Par la suite, j’ai interprété ce rôle dans pas moins de neuf maisons d’opéra de renom. Contrairement aux jeunes de mon âge, je n’ai donc pas enchaîné progressivement les petits rôles. Bien sûr, je suis immensément reconnaissante de l’opportunité qu’il m’a été donnée à l’époque : très jeune, j’ai pu acquérir en peu de temps une précieuse expérience professionnelle. Mais cet événement a eu un impact important sur ma vie et ma personnalité artistique. J’avais plutôt confiance en moi à l’époque, puis soudain, je me suis retrouvée sans grande expérience de la scène, au milieu de personnes beaucoup plus âgées que moi, et totalement seule dans un autre pays, ce qui représentait un défi pour une personne qui aime tant nouer des contacts sociaux. La corrélation de tous ces facteurs était plutôt intimidante.

© Simon Van Rompay
Mais c’est aussi tout cela qui a fait de vous la chanteuse que vous êtes aujourd’hui.

Absolument ! Cette époque m’a permis de réaliser à quel point être résiliente est important quand on exerce cette profession. Vous découvrez également tout ce que cela suppose d’être réellement appréciée en tant qu’artiste, de n’être plus uniquement considérée comme une simple chanteuse qui vient montrer ses talents de virtuose. Puis tout à coup, il faut aussi se mettre à la recherche de toutes ces dynamiques passionnantes entre les différents intervenants, et cela, on ne l’apprend pas au conservatoire. Maintenant que je suis un peu plus âgée, je peux dire que j’ai évolué en la matière et que j’apprécie particulièrement que les productions auxquelles je participe laissent de la place au dialogue. Ce facteur humain, qui se perd parfois dans le secteur, je l’apprécie d’autant plus aujourd’hui.

Qu’est-ce qui vous rend heureuse en ce moment ?

Je crains que ma réponse manque un peu d’audace : être à la maison (rires). Comme j’ai beaucoup voyagé pendant les premières années de ma carrière et que j’étais presque toujours seule à l’étranger, j’apprécie d’autant plus travailler pour les maisons d’opéra belges ces dernières années. Je considère cela comme un grand luxe et cela me permet de dégager un peu de temps pour ma vie privée. Pour en revenir à mon reflet, je suis heureuse de ce que je vois dans le miroir, mais aussi de mon ressenti personnel. Vocalement, je me sens dans une position confortable, et mentalement aussi, tout va bien. C’est important : plus les différents aspects de ma vie sont équilibrés, mieux je chante. J’ai hâte de découvrir ce que l’avenir me réserve…

© Simon Van Rompay