The Glamour and the Labour
Les costumes de Bastarda
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Dans une production d’opéra, rien n’est laissé au hasard. Tout, absolument tout – chaque personnage, chaque mouvement, chaque note, chaque couleur, chaque détail – y est pensé. Les magnifiques costumes de Bastarda sont la preuve – si nécessaire – qu’un tel processus de création demande énormément de temps, de soin et de profonde attention. Un entretien avec la créatrice Petra Reinhardt et la cheffe du département des costumes Regine Becker.
La responsabilité de Petra Reinhardt ne se limite pas aux costumes : elle s’est également occupée des perruques, des couvre-chefs, du maquillage et des chaussures. Elle a fait part de ses idées à la fin de l’année 2020, et le travail a pu commencer au printemps suivant, après une étude budgétaire et une planification approfondies. Au total, Bastarda ne compte pas moins de 110 costumes, 60 paires de chaussures et 43 perruques, sans compter les nombreux couvre-chefs et des bijoux et autres ornements en abondance. Tous ont été fabriqués à la main dans les ateliers de la Monnaie. Un véritable tour de force !
Deux ans et demi se seront écoulés entre la validation des idées et la première du spectacle. C’est inhabituellement long. C’est en partie dû à la complexité des costumes, mais aussi et surtout… à l’épidémie de covid qui a inévitablement entraîné des retards dans le processus de production. Pas de télétravail pour les couturiers !
Les costumes de Bastarda sont sans doute les plus complexes jamais réalisés les Ateliers de costumes de la Monnaie, au cours des dernières décennies, certainement en raison du nombre de détails exceptionnels dont ils regorgent. Ici, pas de longues pièces de tissu, pas de travail en série, mais un travail d’orfèvre, lent et fastidieux, effectué sur les plis, les coutures, les décorations, les renforts et les constructions, dont certaines sont parfois très grandes et très imaginatives pour les costumes de femmes.
On peut presque considérer les costumes de cette production comme des sculptures, dont la construction invisible est au moins aussi importante que le rendu final. Et cela ne vaut d’ailleurs pas que pour les costumes. À la toute fin de l’opéra, on voit même Elizabeth déconstruire littéralement sa dernière perruque, symbolisant ainsi la déchéance de sa beauté et de son pouvoir. Cette perruque se compose de mèches de cheveux amovibles, qu’elle s’arrache morceau par morceau. Il n’est pas étonnant que ses créateurs l’aient surnommée la « perruque lego ».
D’inspiration historique
Au premier abord, les costumes de Bastarda ressemblent à des copies des costumes historiques très répandus à la cour anglaise au XVIe siècle, avec leurs jupes à cerceaux, leurs manches bouffantes et leurs couleurs contrastées. Mais ce n’est pas tout à fait le cas. S’ils s’en inspirent, il n’est pourtant pas question de juste montrer des reconstitutions historiques sur scène. Petra Reinhardt en accentue, déforme et magnifie les particularités du style élisabéthain pour caractériser les personnages : « On pourrait croire qu’un costume n’a aucune importance dramaturgique, ou qu’il en a moins que le script ou la musique. Pourtant, dans cette production, les vêtements font partie intégrante de l’histoire, du concept. D’autant que le décor est assez neutre et sobre, ce qui permet presque de visualiser les costumes aux couleurs contrastées comme des maisons dans lesquelles vivent les personnages, comme leur domaine, voire leur caractère. »
Nous le voyons très clairement dans l’évolution du costume du roi Henri VIII au fil de la représentation : sa taille, d’abord normale prend petit à petit des proportions grotesques, presque absurdes.
Certaines techniques sont destinées à accentuer les formes féminines. Par exemple, le vertugadin du XVIe siècle est constitué d’un bourrelet porté autour des hanches. Des cerceaux, généralement faits de fanon ou d’osier, sont ajoutés au bourrelet. Ces fameux paniers (XVIIIe siècle) accentuaient les hanches de manière assez exagérée, en élargissant surtout les côtés de la jupe. Et puis enfin, il y a la crinoline. C’est une variante du vertugadin, en beaucoup plus large.
Exigences pratiques
La grande différence avec les costumes historiques, c’est que les costumes de théâtre de Bastarda ne doivent pas seulement être beaux et impressionnants mais ils doivent aussi permettre aux chanteurs de se déplacer facilement. Ils ne doivent pas être trop lourds et les chanteurs doivent parfois pouvoir en changer rapidement. De plus, ils ne peuvent pas entraver les gestes et encore moins le chant. À cet égard, une liste de choses dont il fallait tenir compte au moment du design des costumes a été dressée : ils doivent permettre de marcher rapidement, s’allonger, s’asseoir ou encore s’habiller et se déshabiller rapidement.
Ces contraintes entraînent de nombreux problèmes, notamment spatiaux. Par exemple, la plupart des costumes féminins sont si grands et si larges qu’il serait impossible pour les chanteuses de quitter leur loge pour se rendre sur la scène, un étage plus bas. Les couloirs et les escaliers des coulisses sont tout simplement trop étroits. La solution ? Des vestiaires spéciaux, conçus sur mesure sur la scène et même dans l’espace public. Et puis, il y a aussi les constructions qui les soutiennent, ils sont si grands qu’ils sont équipés de roues invisibles. C’est la seule façon pour que les chanteuses puissent se déplacer avec une certaine élégance sur scène.
Pour trouver des solutions à ces contraintes, il a fallu d’innombrables essais, de nombreux brainstormings et beaucoup d’ingéniosité. Ajoutez à cela une bonne dose de contraintes de temps et d’argent, et il devient vite clair qu’un projet de cette ampleur ne peut aboutir qu’à force de planification minutieuse, de travail d’équipe et d’ingéniosité. Petra Reinhardt est absolument ravie de la qualité exceptionnelle du travail produit dans les Ateliers de la Monnaie, et elle ne tarit pas d’éloges sur les artisans qui réalisent bien plus que des tâches exécutives : « Ici, on fait preuve d’une vraie créativité, on réfléchit ensemble et on trouve des solutions. ‘Impossible’ est un terme qui n’existe pas dans ce théâtre. »