Double Tosca
Nos chanteuses partagent leur vision de ce personnage emblématique
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Une session marathon de 14 représentations pour cet opéra si intense nécessite d’alterner deux distributions talentueuses. Qui dit deux distributions, dit également deux Tosca, deux chanteuses qui apportent chacune leur propre expérience, leur propre parcours et leur propre vision du personnage. Nous avons interrogé Mytrò Papatanasiu et Monica Zanettin sur le lien qu’elles entretiennent avec la protagoniste et sur ce qu’elles en pensent.
Peu de rôles du répertoire sont aussi emblématiques que celui de Floria Tosca. De nombreuses grandes sopranos l’ont interprété au moins une fois. Mais qui était votre première Tosca ?
Myrtò Papatanasiu : Pour moi, tout a commencé avec la Callas. L’enregistrement avec Giuseppe di Stefano et Tito Gobbi traînait dans notre salon à Larissa, là où j’ai grandi. C’est une toute petite ville, il n’y a pas d’opéra. Je n’ai donc découvert l’œuvre en direct que bien plus tard.
Monica Zanettin : Pour moi, c’était aussi un enregistrement. Ma toute première Tosca était celle de Raina Kabaivanska et, peu après, j’ai entendu l’interprétation de Kiri Te Kanawa. Des enregistrements très inspirants, aujourd’hui encore. Mais pour chaque rôle, je veux partir de ma propre interprétation.
Comment interprétez-vous le personnage ?
MZ : C’est une femme forte, à l’esprit libre. Aucun homme ne peut lui imposer sa volonté. Tosca provient peut-être d’un milieu pauvre, mais c’est une artiste. C’est très important. Sa profession lui permet d’évoluer dans les plus hautes sphères...
MP : … et là, elle découvre aussi la noirceur qui règne dans ce milieu. Dans le premier acte, elle est encore très enjouée, mais en même temps elle fait preuve de confiance, envers sa relation avec Mario Cavaradossi, mais aussi envers Dieu, l’Église et les institutions politiques. La tendance s’inverse rapidement dans le deuxième acte. Elle est véritablement dégoûtée par les jeux de pouvoir qui s’y déroulent et par la dépravation des gens qu’elle doit côtoyer. Il m’arrive également de reconnaître cela en moi. On peut parfois ressentir très rapidement la fausseté de quelqu’un, et je trouve ce genre de personnes particulièrement inquiétantes.
Y a-t-il d’autres similitudes entre La Tosca et La Papatanasiu ou La Zanettin ?
MP : Oui, certainement. Tosca est particulièrement dévote. Ma foi est tout aussi passionnée, mais dans les gens qui m’entourent. J’ai une sorte de confiance inébranlable en mon mariage, en mes parents. Il faut vraiment toujours partir du bon côté des gens.
MZ : Pour moi, la question se pose dans l’autre sens. Lorsque je chante, j’essaie de me mettre au service du personnage et de découvrir ainsi des aspects de ma propre personnalité que je ne connaissais pas encore.
Par exemple ?
MZ : Un côté comique caché, bizarrement. L’opéra n’est pas vraiment réjouissant, mais il y a beaucoup d’humour dans Tosca. Floria est parfois très drôle.
Pas vraiment réjouissant, c’est un euphémisme. Aucun des trois personnages principaux ne survit à l’opéra ! Vous y compris. Bien que ce soit probablement une chose fantastique à jouer en tant qu’actrice.
MP : En fait, je pense que le cheminement vers la mort est bien plus important que la mort elle-même. En tant qu’être humain, vous pouvez sentir que la fin est proche. Je pense que c’est également le cas pour Tosca. Elle fait tout pour sauver son amant du peloton d’exécution, mais si vous voulez mon avis, elle sent dès le début que quelque chose ne va pas. Si vous optez pour ce point de vue, vous devez considérer le troisième acte dans son intégralité comme une seule et même grande courbe de tension. En tant que chanteuse, c’est extrêmement intense.
MZ : C’est vraiment une question d’énergie. Vous devez continuer à avancer, à vous accrocher. Mais la libération qu’apporte la mort est vraiment nécessaire. C’est un moment de catharsis. Un moment héroïque aussi, car elle décide de son propre destin.
MP : Et pourtant, j’ai parfois envie de demander à Puccini s’il ne peut pas changer la fin. Que je puisse sauter au cou de Mario, qu’on puisse s’échapper ensemble et vivre heureux pour toujours.
Y a-t-il d’autres moments emblématiques de l’opéra que vous attendez avec impatience ?
MP : Le combat avec Scarpia. Comme deux animaux qui se font face. À ce moment, je peux vraiment me laisser aller. Ou la fin de l’opéra, lorsque Tosca est complètement désespérée après la mort de Mario.
MZ : Oui, cette scène est vraiment fantastique à interpréter. Elle y devient véritablement psychotique. Il est d’ailleurs frappant de constater que notre personnage chante de manière très lyrique au début, avec de longues phrases colorées, puis devient de plus en plus dramatique et expressif au fil de l’opéra. Jusqu’à cette scène qui résonne presque de manière contemporaine. Il est très difficile de rendre justice à toutes ces facettes de la Tosca.
MP : C’est vrai, elle a tellement de facettes. Mais ce sont ces facettes qui font d’elle un personnage fantastique. Et c’est la raison pour laquelle tous les hommes de l’opéra sont attirés par elle.
Pour terminer : Tosca est une chanteuse d’opéra qui commet un meurtre. Pourriez-vous être poussées vous-même à ce genre d’extrémités ?
MP : Il ne faut jamais dire jamais (rires). Si je devais me défendre ou surtout si je devais défendre ma fille, je me transformerais en tigresse. D’un autre côté, c’est en se retrouvant dans une telle situation que l’on découvre de quoi l’on est capable. Dans le contexte du mouvement #metoo, par exemple, il m’est arrivé de vivre une expérience désagréable. J’étais complètement paralysée par la peur. Mais je pense toujours que si l’on s’en prenait à mes proches, je ferais tout pour les protéger.
MZ : J’ai lu récemment L’art de la guerre de Sun Tzu, où il dit que chacun est capable de choses inhumaines lorsque tout espoir est perdu. Je suis d’accord avec cette vision. C’est exactement ce qui arrive à Tosca : cette énergie du désespoir qui la pousse à bout.