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Quand Rossini et Donizetti se partagent l'affiche

Marie Mergeay
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En mars 2021, un projet majeur aurait dû voir le jour : Bastarda, un conte existentiel sur la vie d’Elizabeth I – d’après les « opéras Tudor » de Gaetano Donizetti (1797–1848). À la place, la Monnaie propose ce printemps deux opéras en concert (mais avec quelques coupures) : Elisabetta, regina d’Inghilterra de Rossini et La favorita de Donizetti. Comment est née cette idée, c’est ce qu’expliquent notre directeur Peter de Caluwe, le metteur en scène Olivier Fredj et le chef d’orchestre Francesco Lanzillotta.

Au mois de mars, on retrouve donc à la fois la figure d’Elizabeth I (dans l’opéra de Rossini), l’équipe artistique et les chanteurs principaux de Bastarda. D’où vient cette idée ?

PDC Pour moi, cela n’avait aucun sens de proposer Anna Bolena, Maria Stuarda, Elisabetta al castello di Kenilworth et Roberto Devereux, les quatre titres de Donizetti – qui sont à la base de Bastarda, en version de concert. Bastarda sera en effet à l’affiche au prin­temps 2023. Mon idée était néanmoins de rester dans cette même thématique, et j’ai imaginé un parallèle intéressant : les favoris de la reine et les favorites du roi, plus précisément dans Elisabetta de Rossini et dans La favorita de Donizet­ti. C’était un bon point de départ pour amorcer une nouvelle expérience compatible avec la Covid­19, avec l’orchestre sur scène et le chœur retransmis depuis la salle de répétition par une liaison audio – (de nouveau) une première à la Monnaie. Cela a exigé une importante réflexion avec les chanteurs que nous souhaitions garder dans la réalisation du projet. Je tiens à les remercier expli­citement pour leur flexibilité.

© Hugo Segers

FL Pour pouvoir faire l’impasse sur l’entracte, nous avons réalisé une réduction de chacun des opéras – en gardant tout de même les trois quarts des partitions. Les deux intrigues mettent en présence un roi ou une reine, son ou sa favori(te) et ses rivaux – les parallèles sont surprenants !

Olivier Fredj, quel est votre rôle dans ces opéras donnés en concert ?

OF Il consiste à mettre la voix et l’orchestre en valeur par un travail de dramaturgie et d’expressivité à peine présent chez Rossini mais qui émerge déjà chez Donizetti. Ces opéras ont un jour été mis en scène, avec les codes et les attentes de leur époque ; il s’agit maintenant de faire entendre avec une écoute contemporaine une musique qui n’est plus nouvelle pour nous. Je voudrais renouer avec la forme populaire qu’est l’opéra italien de cette époque et proposer de la nouveauté au spectateur, tant pour celui qui connaît l’opéra par cœur que pour celui qui ne l’a ja­ mais entendu. Jeter ce pont entre la musique, la voix, le texte et le visuel est essentiel, tout en mettant les chanteurs et l’orchestre au premier plan.

© Hugo Segers
Au cœur de cette saison si compliquée, ce projet présente plusieurs avantages pour l’équipe : Francesco Lanzillotta, vous allez diriger pour la première fois l’orchestre et vous pourrez vous familiariser avec notre salle ; Olivier Fredj, vous pourrez travailler avec des chanteurs que vous ne connaissez pas encore.

OF Nous voulions proposer du bel canto au public, le lui faire entendre et voir dans toute sa force. Nous souhaitions y révéler aussi bien le compositeur Donizetti que le personnage d’Elizabeth I, ainsi que la question du peuple, de l’amour, du pouvoir et des rivalités à travers l’exemplarité de celle- ci. Cela nous paraissait être le moyen de regrouper les forces impliquées dans Bastarda. Ce qui est merveilleux dans le travail artistique, c’est la possibilité de créer avec les interprètes. Nous revenons ici à une méthodologie de théâtre où on s’assoit tous ensemble pour essayer des choses, on fait une pre­ mière version, on travaille sur un autre texte, une autre musique pour voir ce que ça donne ; et ainsi, Bastarda sera un véritable travail de troupe, ce qui est tellement rare à l’opéra. Nous allons pouvoir faire de Bastarda l’invention d’une forme à laquelle chacun aura contribué.

PDC C’est la première fois que Francesco Lanzillotta aborde la partition de Rossini. Il a déjà dirigé La favorita, et lui aussi est d’avis que l’association des deux pièces fait sens. Certes, leurs styles sont bien différents, et La favorita annonce déjà le romantisme, mais le lien est assuré par la distribution, qui regorge de talentueux chanteurs de bel canto : Salome Jicia a la voix parfaite pour le rôle d’Elisabetta, Raffaella Lupinacci est l’interprète idéale pour Eleonora di Guzmán. Les deux ténors, Sergey Romanovsky et Enea Scala, déjà connus du public de la Monnaie, seront servis avec les rôles de Leicester et Fernando, respectivement, et nous réservent même un duo grisant. Bref, feu d’artifice vocal garanti !

OF J’aimerais que ce projet soit une rencontre entre le public et un certain type de voix, entre le public et des interprètes, et que notre démarche ne soit pas seulement celle d’aboutir à un concert, mais de faire que le rendez-vous avec Bastarda soit déjà pris !