Magdalena Kožená
L’embarras du choix
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Si son cher et tendre peut espérer, après son mandat à la tête des Berliner Philharmoniker, une période un peu plus paisible, Magdalena Kožená, elle, a un agenda bien rempli. Depuis quelques années, la mezzo-soprano tchèque est une figure incontournable de la scène musicale belge, et en 2019, nous aurons même le privilège de l’accueillir deux fois à la Monnaie : en mai pour un récital particulièrement varié et, cinq mois plus tard, dans le premier rôle féminin de la toute nouvelle création de Pascal Dusapin, Macbeth Underworld.
Un chanteur qui donne un récital a le choix parmi un énorme répertoire. Comment faites-vous pour composer un programme ?
Ce n’est pas une sinécure. Choisir, c’est toujours renoncer, et c’est encore pire quand on parcourt les lieder de Brahms, par exemple. Cela fait mal au cœur de devoir laisser de côté certaines œuvres. Toute cette merveilleuse musique ! Le plus important, cependant, c’est de parvenir à un bel équilibre entre les différentes émotions et les différents contenus. Il faut bien réfléchir à ce qu’on veut vraiment. Die Winterreise de Franz Schubert, par exemple, regorge d’émotions, mais quand on interprète tout un cycle de lieder comme celui-là, ces sentiments, on ne les perçoit que selon un seul point de vue. L’autre option est de composer un programme mettant en évidence un maximum de facettes du chanteur et du pianiste en prenant des œuvres de différents compositeurs. C’est le choix que j’ai fait dans le cas présent.
Pour ce récital, vous partagez la scène avec le célèbre Yefim Bronfman. Il est mondialement connu comme soliste, comme interprète de musique de chambre et comme concertiste, mais il est rare qu’il se produise comme accompagnateur de chant, n’est-ce pas ?
En effet. Je fais partie des rares chanteurs qui ont le bonheur de collaborer avec lui. Nous avons entrepris notre première tournée ensemble il y a douze ans. À l’époque, les récitals de chant étaient encore quelque chose de tout nouveau pour lui, mais c’est quelqu’un avec une excellente oreille, qui aborde en outre ce répertoire avec beaucoup d’amour et de respect. Mettre au point un récital de chant et piano est un vrai travail de partenariat. Il est donc capital d’avoir le bon pianiste à ses côtés, et je suis particulièrement heureuse de pouvoir me produire avec Yefim.
Quand on interprète un opéra, on s’inscrit dans un cadre narratif. Est-ce qu’il y a un fil conducteur narratif qui traverse ce récital ?
Non, il n’y a pas de trame dramaturgique particulière. En rassemblant les morceaux de musique, c’est surtout à Yefim Bronfman que je pensais : quelle musique aimerait-il jouer le plus ? Les mélodies de Moussorgski, Les Enfantines, nous les avons déjà interprétées lors d’une précédente tournée et, en tant que Russe, la musique de Chostakovitch lui tient particulièrement à cœur. On pourrait éventuellement dire que toutes ces œuvres parlent de la vie de tous les jours : dans Les Enfantines, ce sont des enfants qui racontent ce qui leur arrive, tandis que les Satires de Chostakovitch posent un regard ironique sur la vie du compositeur sous le régime communiste soviétique.
Le programme comprend aussi quelques-uns des lieder les plus connus de Brahms ainsi que les Scènes de village, assez peu connues, de Béla Bartók. Quelles surprises ces chansons nous réservent-elles ?
J’ai toujours été très curieuse de nature ; j’aime donc surprendre le public avec un répertoire nouveau ou méconnu. Dans ses Scènes de village, Bartók adjoint à des mélodies simples un accompagnement pianistique très complexe, ce qui leur donne un caractère audacieux et intense. Il y est principalement question d’amour : une jeune fille se plaint de son mariage arrangé qui ne répond pas à ses espérances ; une mère s’inquiète parce que son fils devra un jour se battre à la guerre. Je chante ces pièces dans leur langue originale, le slovaque, pour bien rendre les couleurs que Bartók avait à l’esprit. Ces chansons populaires sont pratiquement inconnues aujourd’hui, mais ce sont de purs chefs-d’œuvre. C’est toujours un plaisir de voir le public savourer la découverte d’un « nouveau » répertoire. C’est un enrichissement pour tout le monde dans la salle, moi y compris.
L’équilibre entre concerts et opéras est-il important pour vous ?
Je suis quelqu’un qui apprécie la variété. C’est difficile de choisir une chose à l’exclusion de toutes les autres. Sans compter que je cherche l’équilibre non seulement entre opéras et concerts, mais aussi entre ma carrière et ma famille, avec mes trois enfants. Pour passer un maximum de temps avec eux, je n’accepte que trois opéras par an. Pour une production d’opéra, avec toutes les répétitions et les représentations, il faut vraiment pouvoir prendre du temps. C’est pour cela que, en ce moment, je me concentre plus sur les concerts.
Est-ce qu’un récital a quelque chose de plus spécial que d’autres projets de musique de chambre ou que des concerts avec orchestre ?
Oui, quand même. Dans le cas d’un récital, vous êtes seul maître à bord. C’est quelque chose qui me plaît. La préparation aussi est particulière. Concocter un récital comme celui-ci, choisir les morceaux, les travailler avec le pianiste : c’est un plaisir immense. Je remarque malheureusement que beaucoup d’amateurs de musique considèrent le récital comme un genre un peu démodé. C’est vrai que, visuellement, il ne se passe pas grand-chose. Le chanteur se tient immobile à côté du piano ; vous ne pouvez pas vous raccrocher à une scénographie ou à un jeu d’acteur. Il n’y a que vous, avec votre voix, et une histoire. Mais c’est justement la force du récital, et l’interaction que cela permet de créer avec le public est unique.