Damien Jalet
En six productions clés
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Réinventer constamment la danse dans un dialogue avec d’autres formes d’expression artistique telles que la musique, le cinéma, le théâtre, les beaux-arts et la mode : tel est le credo artistique de Damien Jalet. Le public belge a dû attendre longtemps pour découvrir un spectacle long du danseur et chorégraphe franco-belge, mais avec la première de Vessel à la Monnaie, il va enfin être satisfait. Pleins feux sur six productions clés de son œuvre, en avant-goût d’une chorégraphie qui restera sans doute gravée dans les mémoires.
Les Médusés au Louvre
En février 2013, Damien Jalet a parcouru le Louvre avec ce projet unique, sorte d’errance dans une forêt magique. Les danseurs d’Eastman, la compagnie de Sidi Larbi Cherkaoui et des étudiants du Conservatoire d’Anvers présentaient en continu, pendant deux heures, neuf brèves chorégraphies et performances dans diverses salles du célèbre musée parisien. Ils étaient à cette occasion devenus des sortes de médiateurs, d’intermédiaires entre l’univers des œuvres d’art et celui des visiteurs d’un soir. Sous l’influence de l’envoûtante puissance mythologique des sculptures, ils subissaient une métamorphose et entraînaient les spectateurs dans un rituel consistant à inverser les rôles de l’observateur et de l’observé, de l’animé et du pétrifié. Les Médusés au Louvre montre d’emblée un aspect essentiel du travail chorégraphique de Damien Jalet : son lien intrinsèque avec les beaux-arts.
Yama
Dans de nombreuses cultures, on considère les montagnes comme des passages entre deux univers. Yama (« montagne » en japonais) trouve son inspiration dans les rituels païens et animistes, plus précisément dans le yamabushi (« ceux qui se prosternent dans les montagnes »). On trouve encore ces moines/guerriers menant une vie d’ascèse sur la montagne sacrée de Tohoku, la région du Japon qui, en 2011, fut dévastée par le tsunami et la catastrophe nucléaire de Fukushima. Les Yamabushi voient la montagne comme l’endroit d’où chacun de nous provient et où chacun retournera après sa mort. Cette énergie de transformation traverse Yama, premier spectacle long créé en 2014 par Damien Jalet en tant que chorégraphe en solo, pour le Scottish Dance Theatre. C’est l’Américain Jim Hodges, artiste spécialisé dans les installations, qui a signé le décor, tandis que les costumes ont été créés par le Belge Jean-Paul Lespagnard, deux acolytes que nous retrouverons également dans des productions artistiques ultérieures de Damien Jalet.
Thr(o)ugh
Dans le rituel japonais onbashira, des hommes « chevauchent » des troncs d’arbres pour dévaler les pentes escarpées de la montagne. C’est particulièrement spectaculaire et dangereux. Pour Damien Jalet, cet événement fut l’occasion d’une réflexion sur la puissance des rituels, la dévotion, la frontière entre le conscient et l’inconscient, les situations périlleuses et la pesanteur comme force qui relie. Il a par ailleurs toujours été fasciné par ce qui est cyclique, les cercles, les formes de l’infini, la force centrifuge. Par ces deux nouvelles approches, il a développé avec Jim Hodges un concept de spectacle de danse où un impressionnant objet cylindrique domine la scène et interagit avec les danseurs. Par sa forme, il autorise une diversité d’interprétations, par exemple l’idée d’un tunnel, un passage entre deux mondes... Cette sous-tonalité mythologique fut confrontée à une réalité abrupte : le 13 novembre 2015, Damien Jalet se trouvait à quelques mètres d’un des terroristes lors de l’attentat de Paris. Il a échappé de peu à la mort. Depuis, ses pensées sont hantées par des questions sans réponses. C’est pourquoi il a décidé de les exorciser dans Thr(o)ugh. Dans ce spectacle énergique et spectaculaire, les danseurs se font confiance, comme si leurs mouvements portaient une flamme que la tempête qu’ils traversent n’éteindra pas.
Créé en mai 2016 par le Hessisches Staatsballett à Darmstadt, Thr(o)ugh est dédié aux victimes de l’attentat du 13 novembre 2015 de la rue de Charonne à Paris ainsi qu’à Johanna My Altegrim, décédée le 22 mars 2016 dans l’attentat de la station de métro Maelbeek à Bruxelles.
Skid
Toute existence oscille en permanence entre le désir de rester debout et la peur de tomber. Dans Skid (« to skid » signifie à la fois glisser et caler ou bloquer), c’est le rapport de l’homme avec à la pesanteur, ainsi que la poésie de la résistance et l’abandon qu’elle contient, qui mettent les danseurs en mouvement. Skid se déroule sur une scène de danse inclinée à 34 degrés, qui se déverse dans la fosse d’orchestre et ne possède que deux entrées/sorties : en haut et en bas. Entre apparition et disparition, les danseurs tracent des lignes narratives physiques. Chaque mouvement est créé via les restrictions imposées par la pente et les possibilités qu’elle offre. Le corps humain se retrouve ainsi à la croisée des chemins entre volonté, opposition, effondrement et dynamisme. Souvent, la relation à l’autre est le seul secours face à l’appel du vide. Un spectacle physique époustouflant qui, à l’instar de Thr(o)ugh, s’appuie sur le rituel onbashira. Il a été créé en 2017 pour la GöteborgsOperans Danskompani, fleuron des compagnies de danse scandinaves.
Suspiria
Une prestigieuse école de danse recèle d’effrayants secrets. Certains y sombrent dans le cauchemar tandis que d’autres, enfin, se réveillent... Film d’horreur de 1977 signé Dario Argento, Suspiria est un véritable classique du genre. En 2018, Luca Guadagnino, réalisateur notamment de Call me by your name et Io sono l’amore, a concocté un remake de ce film culte, avec une musique originale signée Thom Yorke, leader de Radiohead, et trois « danses de sorcières » essentielles de Damien Jalet, où le talent chorégraphique des danseuses et des comédiennes (dont Dakota Johnson, Tilda Swinton et Mia Goth) est mis à rude épreuve. Résultat : un remake particulier où la danse occupe une place prépondérante qui permet d’en élever l’iconographie horrifique.
Omphalos
Omphalos est le spectacle de danse le plus récent de Damien Jalet. Sa première a eu lieu en octobre 2018 à Mexico, où il a été créé avec 20 danseurs du Production Center of Contemporary Dance (CEPRODAC) mexicain – par ailleurs la première collaboration entre Damien Jalet et une compagnie latino-américaine. Les auteurs se sont inspirés de mythes européens et indigènes ancestraux, quasi oubliés, sur l’origine du Mexique. Ils en ont fait une réflexion sur l’essence de l’homme et la place de la vie humaine dans le cosmos – un thème récurrent dans l’œuvre du chorégraphe.
Pour en savoir plus sur l’univers de Damien Jalet, rendez-vous sur www.damienjalet.com.