Anna Caterina Antonacci, tragédienne de talent
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Invitée régulière de la Monnaie, la soprano Anna Caterina Antonacci nous revient avec son pianiste attitré, Donald Sulzen, et le quatuor à cordes de notre maison. Elle propose un voyage musical à travers les musiques italienne et française du XIXe siècle et du début du XXe siècle.
D’entrée de jeu, on est plongé dans une atmosphère de fin du XIXe – début du XXe siècle : le fil d’Ariane que nous suivront tout le long de votre récital. Une époque où les singularités lexicales abondent, comme dans Deità silvane d’Ottorino Respighi, sur des poèmes de Rubino assez complexes, même pour des italophones…
C’est l’italien du courant des Scapigliati. La Scapigliatura correspond à l’expressionisme du début du XXe siècle. Les poètes de cette époque cherchaient volontairement à s’exprimer dans un langage bizarre, peu courant, voire inventé. Ils affectionnaient particulièrement les termes onomatopéiques, qu’ils inventaient volontiers. Ici, le poète Rubino utilise par exemple le mot « murmureggiare », qui n’existe pas au dictionnaire mais que l’on comprend, bien qu’on ne l’ait jamais entendu auparavant, parce que le son du mot évoque la chose qu'il désigne. Les mots eux-mêmes résonnent. Quand une cloche « tintinna », on entend le son de la cloche dans le mot. Il y a une réelle recherche de phrase musicale, au premier sens du terme.
On sent que le poète goûte la musique même des mots…
Tout à fait. Et par conséquent, Respighi est, lui aussi, encore plus intéressant que d’habitude dans ces Deità silvane : la complexité de son harmonisation fait écho à celle des vers. Pour l’auditeur, il s’agit d’apprécier l’atmosphère qu’il veut créer, plus que le sens du texte en soi, qui est très subtil et complexe sans pour autant être profond…
Et pour l’interprète ?
C’est assez difficile à chanter parce qu’il y a beaucoup de mots… Lorsqu’il est question, par exemple, d’une clochette qui sonne, les mots vont très vite, comme pour imiter la cloche. Ou bien lorsque les nymphes courent, poursuivies par des satyres, c’est comme une course-poursuite de mots, dans un chant très rapide.
Après vient le professeur de composition de Respighi, Giuseppe Martucci, un compositeur peu connu et rarement donné en concert… Comment l’avez-vous découvert ?
Je connais Martucci depuis une quinzaine d’années, pour avoir chanté La Canzone dei ricordi plusieurs fois avec orchestre - notamment à la Monnaie en 2010. C’est Riccardo Muti qui m’avait initiée à ce poème symphonique, qu’il aimait beaucoup. Mais je ne l’ai jamais interprété avec lui. Comme Respighi, Martucci propose une vision de l’Italie plutôt spéciale. Bien que ce soient de véritables mélodies italiennes, c’est-à-dire très mélodiques justement, on ne peut pas pour autant les apparenter à l’opéra de cette époque tel qu’on le connait. Il s’agit plutôt de musique de chambre, une musique qui tend vers la modernité, au caractère plus raffiné et donc, pour moi, plus intéressant.
De nouveau, la nature et ses différents bruits créent une atmosphère sonore pour l’histoire. Quant au thème, nous le retrouverons aussi dans la deuxième partie, dans le Chausson : c’est l’histoire d’un amour qui prend fin et du regret qui en découle.
Nous entendrons ensuite des mélodies de Nadia Boulanger. Elle en a écrit un grand nombre. Avez-vous choisi d’interpréter tout simplement les plus belles d’entre elles ?
Oui, j’ai choisi celles que je préférais, tout en tâchant de proposer une sélection variée, car la majorité de ses mélodies sont plutôt sombres de caractère. C’est une compositrice que j’aime beaucoup, bien que je ne l’aie découverte que récemment. Je connaissais plutôt sa sœur, Lili. Je trouve son style très intéressant, très cultivé.
On sent que c’est une femme qui écrit…
Tout à fait. Ses mélodies sont très délicates : la féminité est palpable et nous touche. Il y a une belle sensibilité dans l’écriture.
La deuxième partie du récital sera entièrement consacrée au Poème de l’amour et de la mer, une œuvre qu’Ernest Chausson a mis dix ans à écrire. Retrouve-t-on cette maturation dans l’écriture ?
Oui, on entend clairement la grande musique allemande : il y a des échos wagnériens, mahlériens. L’harmonisation est magnifique et, dans la version avec orchestre, la voix se mêle parfaitement à l’orchestre. Dans notre cas, il n’y a pas d’orchestre à proprement parler, donc la voix et l’histoire racontée ressortent sans doute un peu plus. Mais l’harmonisation savante est toujours présente.
C’est un beau retour aux sources en tout cas, car la première audition du morceau, avant sa création avec orchestre à Paris, a eu lieu en 1893, à Bruxelles ! Chausson lui-même était au piano, accompagnant un ténor…
Ah ! Et c’est logique parce que c’est un homme qui parle d’une femme. Mais au fond, le sujet est neutre : il s’agit d’une histoire d’amour universelle, donc peu importe que le sujet soit masculin ou féminin...
Comment interprétez-vous le texte ?
C’est une vision plutôt mûre d’une histoire d’amour qui commence, qui a son apogée, qui prend fin, et puis dont on se souvient avec du recul. On passe par la déception, la douleur, et enfin le souvenir du Temps des lilas : la mélancolie de l’amour passé.
Le temps des lilas… Ces quatre vers sur lesquels le Poème s’achève, ont été repris par le compositeur comme une mélodie à part entière. Est-ce la plus belle partie de l’œuvre ?
Pour moi, les trois parties sont très équilibrées. C’est vrai que le final est sans doute plus mélodique, alors qu’ailleurs, l’orchestre dialogue vraiment avec la voix. Mais tout le morceau est d’une grande beauté. Pour moi, il s’agit d’un des plus beaux morceaux pour voix et orchestre jamais écrits.