L’opéra vous transporte vers un monde parallèle régi par la beautéEnea Scala
Pourquoi le deuxième balcon est-il votre endroit préféré à la Monnaie ?
Enea Scala (Ténor) : C’est toujours à ce balcon que je m’installais pour regarder mes collègues répéter Les Contes d’Hoffmann en novembre 2019. Comme il y avait deux casts, je pouvais aussi observer ce que faisait l’autre équipe et m’en inspirer. J’observais dans la pénombre, comme une chouette : quand je ne me laissais pas distraire par la beauté de la salle qui m’entourait, mon admiration basculait constamment entre le travail du chef d’orchestre Alain Altinoglu et celui de Krzysztof Warlikowski, le metteur en scène.
Quel est votre premier souvenir à la Monnaie ?
Lorsque nous préparions Tancredi à Bozar en 2017, je me suis baladé dans Bruxelles lors d’un jour de repos. J’avais décidé d’aller jeter un coup d’œil à la Monnaie et je suis tombé un peu par chance sur le bâtiment. Je suis entré, me suis bien évidemment perdu dans ce dédale et je suis monté dans le premier ascenseur que j’ai trouvé. Il m’a conduit dans les coulisses, et je me suis soudain retrouvé au milieu du magnifique décor de Lucio Silla. Le contraste entre ce décor moderne et la beauté classique de la Grande Salle était à couper le souffle. Le fait que je sois complètement seul et que je puisse regarder autour de moi pendant de longues minutes a rendu ma première venue à la Monnaie inoubliable.
Qu’est-ce qui rend la Monnaie si spéciale pour vous ?
Le simple fait que la Monnaie soit située à Bruxelles, qui représente pour chaque Européen un symbole des valeurs européennes, rend cette maison d’opéra spéciale. Les gens ne s’en rendent pas toujours compte, mais tout ce que nous pouvons faire ici en Europe est décidé au Parlement européen. À Bruxelles, donc. En tant qu’Italien, Bruxelles me parait à la fois lointaine et familière. De plus, la Monnaie est l’une des maisons d’opéra les plus innovantes du moment. Ici, le mélange du répertoire classique traditionnel avec la vision contemporaine des metteurs en scène est toujours réussi.
L’opéra est-il une forme d’art ultime – ou pas – pour vous ?
Voilà une question facile ! L’opéra réunit beaucoup de choses : il y a évidemment le chant, la musique et le jeu, mais il y a aussi la chorégraphie, les magnifiques décors, les lumières et les costumes. Toutes ces strates réunies créent un superbe équilibre et font sans doute de l’opéra la forme d’art la plus aboutie. En outre, l’opéra est selon moi la forme d’art qui vous transporte le plus facilement vers un monde parallèle régi par la beauté.
Pourquoi les jeunes devraient-ils aller à l’opéra ?
Je suis moi-même allé pour la première fois à l’opéra à 17 ans, dans le cadre d’une sortie scolaire. Je n’avais pas la moindre expérience ni le moindre intérêt pour l’opéra, mais dès le moment où j’ai vu Rigoletto quelque chose a changé en moi, ça a changé ma vie. Je ne savais pas qu’une telle chose existait. Ce monde magique que les chanteurs créaient sur scène juste sous mes yeux m’a immensément fasciné. C’était tellement intriguant, je ne pensais alors même pas à faire un jour partie de cet univers. Cela me semblait bien trop ambitieux. J’avais l’impression que tous ces chanteurs étaient des artistes-nés et qu’il était impossible pour moi d’égaler leurs compétences. Heureusement, cela a changé lorsque j’ai entamé mes études au Conservatoire de Bologne. (pause) On peut tout à fait vivre sans passion pour le théâtre, la musique classique et l’opéra, mais je sais par expérience que l’opéra enrichit votre vie à bien des égards. Il se peut qu’au départ, les jeunes n’aient pas envie de se rendre à l’opéra pendant leur temps libre, mais je crois sincèrement qu’une fois qu’ils l’auront fait, il y a de fortes chances qu’ils soient attirés par ce monde merveilleux de beauté, de drame et de passion.
Quel est le rôle de la culture dans notre société actuelle ?
Le rôle de la culture, au sens large du terme, n’a à mon avis jamais été plus crucial qu’aujourd’hui. Nous vivons dans un monde régi par le nationalisme et le populisme, où l’égoïsme est omniprésent. En 2021, les intérêts individuels passent toujours en premier. Et la collectivité ? Elle doit se débrouiller seule. Les maisons culturelles comme celle-ci sont peut-être un des derniers lieux où la collectivité et la société priment. La culture n’est pas seulement le miroir de qui nous sommes en tant qu’êtres humains, mais elle reflète également nos origines, ce qui nous a façonnés. L’opéra nous offre une perspective sur ce qui a modelé notre société, étant donné qu’il est en grande partie basé sur des mythes, des contes et des histoires tirés de l’histoire européenne. Ce qui me plaît également, c’est lorsqu’une salle entière admire la beauté d’une représentation, tous les spectateurs sont, durant un instant, sur un pied d’égalité.
Quel serait l’opéra que vous sauveriez pour l’éternité ? Et pourquoi celui-là ?
Impossible de répondre à cette question. Mais peut-être que j’arriverais mieux à y répondre si je pouvais choisir un opéra par compositeur. Mon choix se porterait sur Idomeneo pour Mozart, Semiramide pour Rossini, Norma pour Bellini, Lucia di Lammermoor pour Donizetti et Don Carlos pour Verdi. Oh, et Guillaume Tell de Rossini doit aussi figurer sur ma liste ! Désolé, j’ai totalement ruiné votre question. (rires)